L'Enfant de la Lune

Prologue.

En cette fin de journée ensoleillée j’ai observé le soleil se coucher. Je suis restée longtemps à méditer. Comme ce jour finissant, j’arrive au terme d’une vie bien remplie. L’été s’annonce, et avec lui une nouvelle saison de combats entre clans, d’arrivées d’envahisseurs, qui sait...
Une certitude m’habite, il faut que je laisse une trace de mon expérience pour les générations à venir. Afin qu’ils ne nous oublient pas, que nos traditions ancestrales ne soient pas perdues. Cela occupera les journées qu’il me reste à vivre sur cette île magnifique et sacrée qu’est Avalon.
Que l’on me pardonne si jamais je m’égare, ou si je transforme la vérité. Mais j’ai déjà vécu bien plus qu’il ne le faudrait, et ma mémoire me fait défaut, ou peut être que je ne me souviens seulement de ce dont j’ai vraiment envie.
Que mes proches me pardonnent si par moments je ne suis pas fidèle à ce que nous avons vécu ensembles. La majorité d’entre eux n’étant plus de ce monde, que leurs esprits ne soient pas offusqués par les pensées que je ne leur ai jamais dévoilées.
A présent, il est temps de mettre par écrit ce que j’ai vécu. Trace d’une époque qui change.
L’écriture, je l’ai apprise grâce aux envahisseurs, c’est bien une des rares choses positives qu’ils nous ont apportées.
Mais je ne vais pas commencer par là.
Toute vie commence par une naissance, ma mère m’ayant souvent conté a mienne. Alors voici l’histoire de ma vie, l’histoire de Kerridwen, enfant le la Lune.


* * * * *



Kaël, jeune femme svelte, aux longs cheveux roux, marchait depuis plusieurs heures en forêt, s’aidant d’un bâton. Elle était à la recherche des herbes qui lui seraient utiles pour son enfantement. La venue au monde de chacun de ses fils s’était bien passée, il n’y avait aucune raison pour que cela change. Mais cette fois ce serait une fille, elle aurait une fille, que la guerre, folie des hommes, ne lui prendrait pas !
D’un revers de manche rageur, elle effaça la larme qui perlait au bas de sa paupière et implora la lune de lui donner une fille. Soudain un détail la frappa : La Lune était là, haute et ronde. Qu’elle erreur d’avoir oublié cela, les enfants viennent plus vite lorsque la lune est pleine. Kaël se reprocha cet oubli, comment ne pas y avoir pensé !

- Que la grande déesse me pardonne ! s’exclama-t-elle à haute voix, pour conjurer sa crainte.

Étant guérisseuse, elle avait aidé de nombreuses femmes a mettre leurs enfants au monde, mais jamais seule, et qui plus est en forêt.

- Oh belle et grande déesse, une fille donne moi une fille et elle portera ton nom.

A peine eut elle prononcé ces mots que la première contraction se fit sentir. Kaël sourit, elle n’avait plus peur. Elle devait se mettre à la recherche d’un endroit propice pour enfanter. Elle n’avait plus le temps à présent de rejoindre le village. Après une marche pénible, entrecoupée de pauses dues à ses contractions, elle s’adossa à un vieux chêne dont certaines racines baignaient dans un petit ruisseau.
Kaël ferma les yeux et inspira profondément, aurait-elle assez de force en elle pour faire naître cet enfant seule ? « Oh une fille, je veux une fille ! »
La contraction suivante se fit plus vive. Elle ferma les yeux et le visage de son compagnon se dessina derrière ses paupières closes. Elle sourit, songeant à ses yeux si bleus qu’on dirait un ciel d’été, ses pommettes saillantes, à ses lèvres et reprit courage. Le visage de Gwalior, est anguleux, autant que le sien est rond et doux, mais tous deux ont de nombreux traits semblables ce qui en étonnait beaucoup.

Une nouvelle contraction lui arracha une grimace de douleur, cette fois elle n’avait plus le choix. Elle posa son sac en toile de lin, au pied du chêne, attrapa un morceau de bois qu’elle mit entre ses dents, retroussa le bas de sa robe et s'accroupit pour faciliter l’accouchement.
Une contraction violente lui vrilla le ventre, avec un peu de chance la prochaine serait la bonne. Une fille... Elle voulait une fille, le temps semblait une éternité. Kaël lâcha le morceau de bois en hurlant sa douleur, l’enfant était né et se mit à pleurer.
Reprenant son souffle, un peu étourdie Kaël contempla ce petit être qu’elle tenait à bout de bras. Elle pleura de joie, la déesse l’avait exhaussée, elle venait de mettre une jolie petite fille au monde. Elle la serra contre elle et la berça tendrement. Aussitôt la petite fille s’arrêta de pleurer. Elle resta un moment ainsi, avec sa fille dans les bras, tout contre elle pour la réchauffer, plus rien n’existait autour d’elle. Doucement, Kaël reprit conscience de l’endroit où elle était.
Attrapant son sac elle saisit sa serpe pour couper le cordon ombilical, prit un linge propre qu’elle avait toujours avec elle pour y déposer les herbes qu’elle récoltait. Sa fille contre elle, elle se releva et trempa le linge dans le ruisseau. Elle le serra un moment dans sa main, le posa contre sa peau pour qu’il ne soit pas trop froid, puis elle entreprit la première toilette de sa fille. Elle ouvrit ensuite le lacet de sa robe pour coller son enfant tout contre elle afin de la réchauffer.

- Ma fille, ma toute petite fille, ma petite Kerridwen, la grande déesse a permis que tu naisses dans cette forêt sous son regard bienfaiteur, je te donne son nom. Que le peuple de la forêt te protège chaque jour de ta vie.
- Nous serons là pour la protéger puisque que tu as tenu ta promesse.

Kaël sursauta elle n’avait entendu personne venir, elle se saisit de sa serpe, arme dérisoire face à un ennemi invisible songea-t-elle.

- Ne prend pas peur Kaël, je suis Sheamus, elfe vert, j’ai entendu le vœux que tu as fait et comme tu as tenu ta promesse, que tu crois encore en nous, je m’engage à protéger ton enfant au nom de tout mon peuple.

Kaël observa l’elfe qui était apparu devant elle. De petite taille, des feuilles composaient son vêtement de manière complexe. Ses yeux gris tirant sur le vert étaient tout ronds et un bonnet en corolle de fleurs cachait le haut de sa tête ainsi que ses oreilles. Sheamus lui sourit puis disparu comme il était venu, se fondant dans le décor végétal.

Kaël se remit lentement de cette rencontre, car les elfes, se montraient peu depuis que ceux de son peuple avaient cessé de croire en eux. Même Gwalior, son époux, était persuadé qu’il s’agissait là de comptes pour endormir les enfants. Elle secoua la tête désolée, que devient un peuple sans croyance ? Elle prit conscience que la nuit était tombée et qu’elle prenait des risques à rester ainsi en pleine forêt avec son nouveau né.
Un galop lointain l’inquiéta d’autant qu’il ne venait pas de son village. Un cavalier solitaire vêtu de gris se trouva bientôt à sa hauteur, l’air menaçant, il mit la main sur le pommeau de son glaive. Le regard noir de haine. Qui pouvait il être ? Voyant Kaël brandir sa serpe celui ci éclata de rire mauvais. Remplie d’une force qu’elle ne pensait pas avoir, la jeune femme lança son arme improvisée sur le cavalier qui l’évita de justesse en se baissant sur le col de sa monture. Lorsqu’il se redressa, il dégaina son épée.
C’est le moment de tenir ta promesse Sheamus pensa la jeune mère.


- Kaël, Kaël où es tu ?

Soulagée, elle reconnu la voix de Gwalior, parmi les cris d’autres membres de son clan ainsi que les aboiements de leurs chiens de chasse. L’arrivée providentielle des hommes du village avait fait fuir le cavalier. Pourtant Kaël su que ce n’était pas la dernière fois qu’il croisait sa route.