Rastignac: le RP
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Rastignac: le RP

L'aventure Rastignac archivée ici. Bienvenue dans l'un des Rp les plus prolifiques des Royaumes Renaissants.
 
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 " ISMERIA "

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Cassandre
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MessageSujet: " ISMERIA "   " ISMERIA " Icon_minitimeLun 6 Oct - 16:15

Chapitre 1

Peter Neumann





J’avais garé ma voiture sur ma place de parking souterrain et je me dirigeais nonchalamment vers la cage d’ascenseur lorsque j’entendis les voix d’un couple de mes voisins. Imaginant leur babillement stérile, je me précipitai vers l’ascenseur et actionnai les boutons devant leurs yeux ébahis face à tant d’impolitesse. Ils m’ennuyaient tellement que je préférais être le sujet de leurs ragots et ne pas avoir à les écouter me dire que demain il ferait trop chaud ou qu’il pleuvrait enfin.

Dans l’ascenseur, je préparai mes clés pour ne pas allumer le couloir afin d’éviter que ma vieille voisine ne sorte de son antre et ne m’assaille avec son cabot. Une bête hargneuse qui aboierait pendant toute la conversation. Après avoir déjoué ces pièges du quotidien, je m’engouffrai dans mon appartement. Je verrouillai aussitôt la porte derrière moi, m’y adossant avec délice tout en fermant les yeux. Avec ravissement, j’écoutai ce silence que j’avais espéré depuis le matin. Lentement, je me penchai vers mes pieds et dénouai les boucles de mes chaussures à talons. Avec plaisir, je les libérai de ces étaux que j’abandonnai près de la porte. Tout en déboutonnant méticuleusement mon chemisier, je traversai mon appartement et me fis couler un bon bain chaud. Machinalement, j’enlevai les pinces qui maintenaient mes longs cheveux bruns en une coiffure trop stricte et je les brossai avant de m’introduire dans l’eau chaude et aromatisée.

Je m’assoupissais lorsque mes yeux se posèrent sur le réveil au dessus de l’étagère. Il ne me restait plus qu’un quart d’heure avant de rejoindre Flore dans notre bar. Je sortis précipitamment de l’eau, enfilai une robe moulante et savamment décolletée et me maquillai avec soin. Satisfaite de mon reflet dans la glace, je pris mon sac, une petite veste et remis mes pauvres pieds endoloris dans les escarpins abandonnés une heure auparavant. Ma cheville gauche protesta aussitôt. Je grimaçai en fermant avec résignation la boucle. Je ne possédais aucune autre paire qui me fasse des jambes aussi longues. On était samedi soir, et je voulais profiter de mon célibat.

Au volant de mon coupé sport, je fonçai dans les rues noires de la ville. Je ne pouvais néanmoins décrocher mes yeux du compteur pour me maintenir à une vitesse raisonnable. Je n’avais plus que trois points sur mon permis et la simple évocation du mot bus me donnait la nausée. J’imaginais déjà l’odeur acre des ouvriers mal lavés où les niaiseries de lycéennes excitées par le regard appuyé d’un boutonneux.

Je garai ma voiture dans un parking souterrain éclairé du centre-ville. Je m’assurai dans le rétroviseur que les mèches auburn de mes cheveux teints encadraient parfaitement l’ovale de mon visage avant de sortir de mon bolide. Je remontai précipitamment à la surface par les escaliers et me dirigeai à grandes enjambées en direction du bar. Lorsque je fis mon entrée, plusieurs hommes me fixèrent avec envie. J’aimais susciter ce genre de réaction estimant que le pire était de passer inaperçue. Les hommes me désiraient, les femmes me haïssaient, il en avait toujours été ainsi depuis mes treize ans.

Fièrement, je m’avançai vers le barman qui me sourit comme à son habitude en m’adressant un clin d’œil complice. Ce soir-là, je le trouvai charmant en remarquant pour la première fois que deux adorables fossettes se dessinaient sur ses joues lorsqu’il souriait. Je tentai de savoir si ce sourire se voulait charmeur lorsqu’il m’indiqua du doigt une table dans le fond. Je le remerciai d’un signe de tête et constatai que, déjà, il me préparait ma Tequila Sunrise. A la vue de la table, je ne pus réprimer une grimace. Flore m’adressait bien un signe amical de la main mais je ne pouvais détacher mon regard du blouson posé sur la chaise vide près d’elle. Des yeux, j’en cherchai le propriétaire mais ne le trouvant pas, je pris le parti de m’installer en face de mon amie après l’avoir saluée.

« Où est Éric ? demandai-je sans cacher ma colère.
- Il fait une partie de billard avec son cousin. Ils nous rejoindront dès qu’ils auront fini.
- Son cousin ? souris-je en allumant une cigarette. La soirée promet d’être plus agréable qu’elle ne semblait le laisser présager.
- Même pour faire enrager Éric, tu ne tiendras pas une soirée avec son cousin.
- Tu n’ignores pas à quel point torturer ton copain me délecte.
- Cette fois-ci, tu te punirais plus que lui. Imagine-toi avec un Mister Bean qui ferait vingt kilos de trop et des lunettes.
- Le physique ne fait pas toujours l’homme.
- C’est toi qui ose le prétendre ! Combien de temps passes-tu chaque matin devant ta glace ? pouffa Flore. De toute manière, il est comptable avec une passion dévorante pour les jeux de rôles.
- Au moins ce charmant garçon devrait occuper les discussions de ton Éric sur leurs jeux puérils. Pourquoi n’en parlent-ils pas chez lui ? Aurais-tu oublié que nos samedis soirs entre filles étaient sacrés ?
- J’aimerai te soumettre un nouveau projet pour nos vacances.
- Tu n’as tout de même pas annulé nos vacances de rêve à Ibiza ! grondai-je en prenant une autre cigarette pour me calmer.
- Éric ne voit pas d’un bon œil que je passe une semaine à faire la fête avec toi dans tous les coins branchés de l’île.
- Aurais-tu encore le droit de respirer sans son accord ? persiflai-je furieuse en finissant mon verre et en faisant signe à notre serveur de m’en rapporter un autre. Donc la femme soumise que tu es devenue ne peut pas choisir la destination de ses vacances ? Lui déplaire ne signe pas ton arrêt de mort, tout de même ?
- Je suis plus humain que toi, Line, me répondit une voix masculine que je connaissais trop dans mon dos.
- Flo avait aussi choisi cette destination bien avant de te connaître.
- Maintenant, nous sommes ensemble et il est hors de question qu’elle te suive dans ton périple de débauchée.
- Attention, Monsieur Morale va une nouvelle fois me faire son sermon. Par quoi commençons-nous ce soir ? L’alcool, mes tenues ou mes aventures ? lui demandai-je en lui envoyant un nuage de fumée au visage.
- Tu n’es qu’une traînée …
- Taisez-vous ! nous ordonna Flore. Je décide de mes vacances et vous allez m’écouter. Sébastien, nous expliqua-t-elle en désignant le cousin d'Éric qui arrivait, vous décrira plus en détail mon projet. Puisque je ne peux vous satisfaire tous les deux, nous partirons à trois. »

J’eus beaucoup de difficulté à ne pas lui recracher mon verre à la figure. A ma grande surprise, Éric lui décrochait le même regard de colère. Jamais je n’aurai pensé qu’un jour je puisse avoir quoi que ce soit en commun avec lui. Flore nous regardait en souriant et Sébastien nous expliqua :

« Flore vous a inscrit tous les trois pour le prochain grand rassemblement de rôlistes en Allemagne.
- Comment as-tu fait ? s’étonna Éric. Tous les rôles étaient distribués depuis des mois lorsque je suis allé sur leur site.
- Ils n’avaient pas assez de femmes pour jouer leurs personnages et ils ont accepté immédiatement notre inscription.
- Un jeu de rôle en Allemagne, tu es folle ! m’indignai-je. De plus, je te rappelle que je ne parle pas la langue de Goethe.
- J’ignorai que ta bouche te servait à parler, ironisa Éric.
- Et moi j’ignorais qu’un cerveau de garagiste puisse penser. Je ne te demande pas si tu parles allemand vu que tu peux à peine écrire en français. Tiens, fais nous rire et épelle Goethe pour voir …
- Line ! me coupa Flore. Les grands blonds, la bière et la techno pourraient aussi te convenir.
- La consolation est bien faible en comparaison d’Ibiza. De plus je suis persuadée qu’il doit faire un froid de canard en avril près de la Mer du Nord.
- Vu comment tu t’habilles, tu attraperas un rhum de fesses dès le premier soir, sourit Éric.
- Et si ton cerveau gèle, on ne verra pas la différence, persiflai-je à mon tour.
- Quant on voit ce que tu fais de ta si brillante intelligence …
- Excusez-moi, nous interrompit Sébastien, mais Flore s’en va. »

D’un bond, Éric se leva et s’empara de son blouson. Lorsqu’il se retourna vers moi, toujours assise, j’allumais nonchalamment une nouvelle cigarette.

« Tu ne viens pas la rattraper avec moi ? me demanda-t-il.
- Tu as plus de chance de la calmer seul, lui souris-je. Douze heures de voiture le week-end prochain avec nous deux devraient lui suffire.
- Alors tu comptes venir ?
- Je ne connais pas les Allemands. »

Je lui fis signe de la main que je paierai les consommations et qu’il pouvait la rejoindre. Pour une fois, Éric m’obéit mais je n’en tirai aucune satisfaction. J’avais perdu, je partais pour l’Allemagne. Tentant de noyer ma déception dans mon verre je fus surprise, lorsque je le reposai vide sur la table, de croiser le regard bovin de Sébastien. Je compris alors que le gros tas espérait finir la soirée avec moi. Avec horreur je me levai d’un bond pour constater qu’il en faisait autant. Flore venait de ruiner mes vacances, je n’allais sûrement pas faire dans l’assistanat ce soir.

Avec résolution je m’approchai du bar et me frayai une place entre deux hommes. Celui de droite se tourna pour râler mais lorsque je lui décrochai mon sourire le plus séducteur en guise d’excuses, il se détourna de son compagnon et me proposa un verre. Je choisis une Vodka et la sirotai en me demandant si je finirais la soirée avec lui ou avec le grand brun qui buvait sa bière en me souriant depuis sa table.
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MessageSujet: Re: " ISMERIA "   " ISMERIA " Icon_minitimeVen 10 Oct - 11:27

L’odeur d’un bon café me réveilla. Elle fut immédiatement suivie d’une envie de vomir qui me tenailla dès que je tentai de me soulever. J’ouvris alors les yeux et reconnus le décors de ma chambre. Au prix de multiples efforts, je tentais de me rappeler ma soirée d’hier. A première vue, j’avais trop bu et je n’étais pas rentrée seule dans mon appartement. Tandis que j’essayais d’assembler les autres pièces du puzzle, je tendis la main vers le tiroir de ma table de nuit puis j’y farfouillai frénétiquement. Je brassai plusieurs boîtes vides avant de trouver le tube d’aspirine. J’en avalai une aussitôt avant de me précipiter sur mes cigarettes. Lentement je m’assis dans mon lit et portai le filtre à mes lèvres. Dès que je sentis la bouffée salvatrice descendre dans ma gorge et emprisonner mes poumons, je retrouvai mon calme.

J’entendis du bruit dans ma cuisine et l’odeur du café me rappela la présence de l’intrus. Je me souvins alors que c’était mon serveur qui était dans la pièce voisine. Pas étonnant qu’il sache faire un café alléchant, pensai-je en tirant à nouveau sur ma cigarette, c’était tout de même son métier. Je souris en repensant qu’il n’y avait pas que pour servir les boissons qu’il était doué. Alors que je n’étais absolument pas décidée à finir la nuit avec lui, il avait dû manoeuvrer assez habilement pour se retrouver chez moi ce matin. L’avantage était qu’il me connaissait suffisamment pour ne pas s’incruster après le petit-déjeuner. Réflexion faite, je lui demanderai plutôt de partir un peu plus tard. Je préférai m’assurer qu’il valait le coup s’il me prenait l’envie de l’inviter une autre fois où je me sentirai trop seule.

J’écrasais ma cigarette sur cette résolution lorsqu’il s’encadra dans l’embrasure de la porte. J’appréciai qu’il ait revêtu son jeans. Je ne supportais plus de les voir déambuler nus dans mon appartement comme si nous formions un vieux couple. J’enfilai mon peignoir avant de le suivre dans la cuisine. Je remarquai avec plaisir que sa chemise de serveur ne lui rendait pas justice et qu’il devait régulièrement entretenir ce corps d’athlète dans une salle de musculation.

Je m’assis sur la chaise qu’il m’avançait en remarquant qu’il n’avait aucune intention de me servir mon petit déjeuner au lit. J’avais horreur de tenir mon bol en équilibre tout en m’efforçant de ne pas faire tomber une miette dans les draps. J’espérais qu’il éviterait de parler de la météo, lorsqu’il arrêta le cour de mes pensées en me demandant combien de sucre je mettais dans mon café.

« Un seul, lui répondis-je avec mépris. J’étais persuadée que ce genre de détails faisait parti des qualifications demandées pour être un bon serveur, le raillai-je en portant le breuvage chaud à mes lèvres.
- Je m’en serais souvenu, me répondit-il d’une voix suave, si tu consommais autre chose que de l’alcool passé dix-neuf heures. Mademoiselle préférerait peut-être une Tequila ? »

Alors que son arrogance commençait à m’horripiler avec ma gueule de bois, deux adorables fossettes se creusèrent dans ses joues et ses profonds yeux verts se chargèrent de malice. Je pris sur moi de ne pas le mettre à la porte et me concentrai sur un souvenir agréable de la nuit précédente pour retrouver un peu de ma sérénité. Suivant le cour de mes pensées, je lui demandai abruptement :

« Comment se fait-il que tu sois dans mon appartement ?
- Je ne t’ai pas forcée, tu m’as invité.
- Tu m’avais saoulée avant, je m’en souviens clairement, lui répondit-je amusée.
- Tu déformes légèrement la réalité. Dépitée par tes vacances en Allemagne, tu t’es jetée sur ton voisin de comptoir. Il est devenu très vite trop entreprenant et j’ai dû intervenir, à ta demande. Ensuite je t’ai offert un verre ou deux.
- Ne saurais-tu plus compter ? le coupai-je en engouffrant une tartine. Alors que tu comptais ta caisse tu m’as au moins fait avaler quatre cocktails différents.
- Tu ne t’es pas fait prier pour les boire, me répondit-il sur le même ton badin.
- Très juste, lui répondis-je en pensant que mon petit serveur avait assez de répartie pour me divertir tout le week-end. Rappelle-moi où est ma voiture. Rassure-moi, je n’étais pas assez ivre pour t’en confier les clés?
- Je nous ai appelé un taxi.
- Là, je me souviens, commentai-je en sentant le rouge me monter aux joues. Le chauffeur était très gêné lorsque nous sommes arrivés devant mon immeuble.
- Pour sa défense, il faut dire que j’ai eu beaucoup de difficultés à résister à tes avances. Entreprenante n’était plus le terme adéquat pour décrire ton comportement. Je t’ai repoussée jusqu’à l’ascenseur. Après, j’avoue que je n’ai pas résisté à l’un de mes plus vieux fantasmes.
- Au moins mes voisins devraient éviter de me parler de la pluie ces prochaines semaines. »

Il éclata d’un rire franc que j’appréciai aussitôt. Décidément mon petit serveur était sûrement ma meilleure prise depuis plusieurs mois. Subitement l’idée me vint que j’avais envie de le revoir. Déconcertée par cette pensée, je me levai afin d’aller chercher mes cigarettes dans la chambre pour me donner une contenance. Depuis des mois, je me moquais de Flore avec son garagiste et je me mettais à jouer les midinettes pour un serveur de Cappuccino. J’empoignai mon paquet fermement décidée à lui faire faire un faux pas. Je devais me débarrasser de lui sans remords.

Lorsque je revins dans ma cuisine, je constatai qu’il ne m’avait pas attendue et qu’il sirotait tranquillement la fin de son café, accoudé à la balustrade de ma terrasse. Lorsque je m’approchai de lui, je vis ma voisine qui le scrutait à travers ses rideaux. Il est vrai qu’à son âge, il devait y avoir des lustres qu’elle n’avait pas vu un corps aussi appétissant. Je réprimai l’envie que j’avais de le caresser et m’installai à côté de lui. Avec calme, j’allumai ma cigarette lorsque je voulus lui demander mon cendrier posé près de sa main droite.

« Euh ... Pourrais-tu me passer mon cendrier ?
- Pourquoi hésites-tu, Line. Est-ce parce que tu n’es pas sûre de vouloir ton cendrier ou parce que tu ne parviens plus à te rappeler mon nom ? »

Vexée, je me dégageai de la balustrade et le contournai afin de saisir moi-même mon cendrier. Lorsque je l’attrapai, il abattit sa main sur la mienne. Son geste me surprit et je relevai la tête en fronçant les sourcils. Je croisai aussitôt son regard moqueur.

« Alors, comment m’appellerais-tu ? »

Avec frénésie, je tentai désespérément de faire appel à ma mémoire vacillante de la veille. Il n’y avait rien de pire de que de ne pas se rappeler le nom d’un amant le matin au réveil, surtout que celui-là valait la peine que je m’en souvienne. En plus, je savais que c’était un nom simple : Franck, Jérôme ? Non. Nous n’étions tout de même pas des bêtes en rut et j’aurais été plus que vexée s’il m’avait donné le nom d’une autre. Je l’aurais aussitôt mis à la porte et je n’aurais jamais remis les pieds dans son bar. Stéphane, Yohann ? Je commençais à ne plus pouvoir cacher ma gêne et lui continuait à me sourire, ravi de la situation. Je posai alors mes yeux sur mon paquet de cigarettes et identifiai avec certitude celui de la veille à voir son état. Dans un geste désespéré, je m’en emparai, souhaitant avoir noté son nom dessus comme parfois je le faisais depuis que j’étais adolescente. Le truc était simple et m’avait évité plus d’une fois des déconvenues de ce genre avec des types rencontrés pour la soirée.

« Ne cherche pas, il n’y a rein d’inscrit sur celui-ci, s’amusa-t-il. Tu l’avais habilement noté sur le paquet que je t’ai fait finir au bar. »

Je devenais furieuse. Non seulement, mon petit serveur se révélait aussi machiavélique que moi, mais en plus, il avait toujours une longueur d’avance. Je devais me rappeler son prénom pour pouvoir le mettre à la porte avec délectation. Laurent, Philippe, Olivier ? Je n’y arrivais pas. Je venais de me faire battre à mon propre jeu par un barman. Maigre consolation mais il avait sûrement une plus grande habitude de ce genre de jeu. Après tout, ne travaillait-il pas dans le milieu de la nuit ? Il devait lever des midinettes d’un claquement de doigt, surtout avec des yeux aussi fantastiquement verts.

« Très bien, tu as gagné, je ne me rappelle plus ton nom. Donne le moi et sors, décrétai-je furieuse.
- Non, là j’aurai plutôt tout perdu. »

Il m’enlaça alors et m’embrassa avec fermeté. Son baiser était chaud et je ne fis même pas mine de me débattre lorsqu’il m’allongea sur mon bain de soleil. J’eus un vague remord en pensant à ma voisine qui devait nous regarder mais lorsque je sentis ses lèvres sur mon sein durci par le désir, j’en oubliai mes scrupules et m’abandonnai entre ses bras.
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MessageSujet: Re: " ISMERIA "   " ISMERIA " Icon_minitimeLun 13 Oct - 16:36

Je me dirigeais tranquillement vers ma voiture lorsque des phares m’aveuglèrent. Surprise, je fus tétanisée par l’irruption de ce véhicule sur le parking de mon bureau rendu désert par l’heure tardive. Je plissai les yeux et mis instinctivement les doigts sur la bombe lacrymogène qui habitait toujours le fond de mes poches de veste. Lorsque la voiture tourna et se gara près de la mienne, je reconnus la Panda de Flore et me détendis.

« Qu’est-ce qui t’amène ? lui demandai-je tout en lui faisant la bise.
- Je n’ai aucune nouvelle de toi depuis samedi dernier. Nous sommes sensés partir demain soir pour l’Allemagne et tu ne réponds à aucun de mes messages.
- J’avais prévenu Éric avant qu’il ne te rejoigne que je vous accompagnerai. De plus j’ai eu fort à faire cette semaine.
- Line, tu ne peux passer tes semaines à travailler comme une malade, te saouler le week-end et te réveiller dans des bras inconnus le dimanche matin.
- Pour les leçons de morale, Éric me suffit. De toute manière, lui précisai-je avec un sourire malicieux, je ne travaillais pas. J’ai noyé ma déception de ne pas partir à Ibiza en ne passant aucune nuit dans mon appartement. Maintenant excuse-moi, mais je dois me dépêcher si je veux encore avoir une chance d’arriver à temps au…
- Je ne te laisserai pas sortir seule quand tu es dans cet état là. Depuis la dernière fois où j’ai dû venir te chercher complètement saoule dans un quartier mal fréquenté où on t’avait frappée, tu m’avais promis de ne plus te laisser aller à de tels débordements. Si Éric n’était pas rentré à ce moment chez lui ou qu’il n’avait pas eu un comportement aussi chevaleresque envers deux jeunes femmes qu’il ne connaissait pas, tu sais parfaitement ce qui ce serait passé !
- Tu ne serais pas avec lui, ironisai-je tandis que Flore me lançait un regard méprisant. Ne t’inquiète pas, je vais juste à un rendez-vous et si tu continues, je vais être en retard.
- Un rendez-vous, avec un garçon que tu connais déjà ? me demanda-t-elle surexcitée.
- Non, avec le Père Noël, lui répondis-je en lui déposant un bref baiser sur la joue en guise d’au revoir. A demain ! »

D’une pression sur la clé, j’ouvris la portière et m’installai au volant. Comme je mettais le contact, Flore s’assit près de moi.

« Je vais dans le centre ville prendre quelqu’un puis nous irons dîner, je n’aurai pas le temps de te ramener ici.
- J’appellerai Éric. Tu n’espères tout de même pas pouvoir te défiler aussi facilement. Je veux tout savoir. Alors comment est ce pauvre garçon qui trouve grâce à tes yeux ? Connaît-il sa chance d’avoir eu droit à un second rendez-vous ?
- Ce n’est pas le premier, lui répondis-je stoïquement en accélérant sur la voie rapide.
- Depuis le médecin de l’été dernier avec qui tu as filé une parfaite romance pendant une quinzaine de jours, ironisa-t-elle, tu n’as que des aventures sans lendemain dont je connais tous les détails sordides. Maintenant que tu vois enfin quelqu’un sérieusement, tu ne me dis rien !
- Attends encore un peu avant d’enfiler ta robe de demoiselle d’honneur, me moquai-je. Je croirais entendre ma mère qui se lamente depuis ma majorité. Dix ans déjà qu’elle me reproche de ne jamais me voir avec un garçon sérieux. Tous les mois j’ai droit au couplet. Jamais elle ne verra ses petits-enfants si je tarde trop. Elle me rappelle à chaque fois que je ne rajeunis pas et que les grossesses tardives sont plus délicates. Vas-tu aussi me parler de mon horloge interne ou tu préfères attendre que David soit avec nous ?
- David ? Samedi soir ? me demanda Flore d’une voix tendue. Ne me dis pas que tu maltraite mon pauvre serveur ?
- J’ignorai que tu connaissais son nom.
- Avant d’être avec Éric, je me suis languie auprès de lui. J’arrivais toujours en avance à nos rendez-vous et je prenais le temps de m’installer au bar et de lui parler. Il me semblait bien que tu l’intéressais plus que moi. Je trouve étonnant que tu l’aies seulement remarqué.
- Un agréable concours de circonstances, conclus-je en arrêtant la voiture.
- Vous avez rendez-vous dans son bar, me fit-elle remarquer avec une perfidie dont je ne la soupçonnais pas, c’est romantique !
- Il s’est arrangé avec son associé pour finir plus tôt, lui répondis-je piquée par sa jalousie Il ne travaillera pas jusqu’à notre départ et je vais en profiter : c’est un amant insatiable, lui précisai-je par pure méchanceté.
- Nous passerons te prendre demain soir, me répondit-elle d’un ton neutre. Tâche de ne pas être trop épuisée, nous conduirons toute la nuit.
- Quelles merveilleuses vacances ! »

Flore s’extirpa de ma voiture lorsqu’elle vit David s’approcher et s’empressa de monter dans un taxi avant que la situation ne devienne embarrassante.
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MessageSujet: Re: " ISMERIA "   " ISMERIA " Icon_minitimeMar 14 Oct - 15:50

La nuit était tombée et je courrais frénétiquement d’une pièce à l’autre. Je venais de sortir deux valises avec leur vanity du grand placard de l’entrée et je m’engouffrai dans la salle de bain. Sans prendre le temps de réfléchir, je vidais toutes les étagères de leurs différents produits pour les jeter dans la mallette sans vérifier leur contenu. Je me précipitai ensuite dans ma chambre et j’ouvris mon armoire en grand, me demandant ce que je devais fourrer dans mes valises.

« A ton avis, quel temps fait-il en Allemagne ?
- Seulement trois ou quatre degrés de moins qu’ici, me répondit David en sortant tranquillement des draps. Ne t’inquiète pas pour tes tenues, ils t’en fourniront une qui correspondra au rôle que tu joueras.
- Quelles vacances débiles ! A cause de Flore, je vais passer une semaine à rejouer le script d’un stupide jeu d’héroïc fantaisy au fin fond de l’Allemagne. Que fais-tu cette semaine ? lui demandai-je d’une voix doucereuse en me lovant contre lui
- N’y compte même pas, ma belle, me répondit-il en m’écartant de lui pour attraper son pantalon. Sous aucun prétexte je n’irai dormir à la belle étoile dans la boue allemande au milieu du printemps.
- Dormir dehors ?
- Bien sûr, ce sont des puristes, me sourit-il ravi. Tu vas passer une semaine dans l’univers médiéval et fantastique que le maître du jeu a inventé. Pas d’hôtel, pas de douche ni d’organisateur complaisant pour illuminer tes vacances.
- Rappelle-moi pourquoi j’ai accepté de partir ?
- Pour gâcher les vacances d'Éric ? me proposa-t-il en souriant.
- C’est juste. Je n’allai pas le laisser s’offrir une semaine de vacances avec Flore alors qu’elle devait partir avec moi. Je vais lui prouver que son Éric est un looser et dès qu’elle l’aura compris, nous partirons finir notre séjour à Berlin.
- Très bon choix, la vie y est plus festive qu’à Bonn. Je peux même te conseiller quelques bières et discothèques pittoresques. Vous y trouverez sûrement ce que vous cherchez.
- Et tu n’es même pas jaloux ? lui demandai-je d’une voix où je n’avais pu cacher la déception.
- De quoi ? me demanda-t-il en enfilant son blouson. Line, je te connais depuis plus de dix-huit mois et je ne te ferai pas l’affront de dénombrer les types avec lesquels je t’ai vue. Je sais une chose, ma belle, si tu as envie de t’envoyer un bataillon d’Allemands, tu le feras, c’est ainsi.
- Et que comptes-tu faire ? l’interrogeai-je, anxieuse.
- Je vais travailler avec acharnement pour pouvoir laissé seul mon associé à ton retour, me sourit-il en m’enlaçant. Flore m’a appelé hier et j’ai appris que tu avais encore une semaine de vacances après ton retour. Si alors tu veux encore partir pour Ibiza …
- Avec toi, je préférerai un endroit plus romantique. J’ai toujours rêvé de visiter Florence, la citée des Médicis, leur palais et les tableaux de la Renaissance.
- Va pour l’Italie. »

Je passai alors mes bras autour de son cou et tentai de le faire tomber à nouveau sur le lit lorsqu’il m’emprisonna la taille pour m’écarter de lui.

« Tu es très en retard, belle tentatrice. A dans une semaine. »

Il me donna un rapide baiser qui me laissa un goût amer sur les lèvres et quitta mon appartement en quelques enjambées. Lorsque j’entendis la porte se refermer automatiquement derrière lui, je reportai toute mon attention sur ma garde-robe. Je dirigeai aussitôt mes mains vers les jeans et les pulls plutôt que sur les petites robes. Connaissant Éric, il n’y avait aucune chance que je parvienne à le séparer de Flore et je n’avais plus envie de visiter Berlin. J’étais déjà en Italie sous le doux soleil du printemps dans les bras de David. Lorsque j’entendis l’interphone sonner, je sortis de ma rêverie de midinette et leur ouvris la porte d'entrée grâce à l'interphone. J’enfilai rapidement un jeans et un pull, engouffrai quelques piles de vêtements dans un sac et les rejoignis sur le palier avec mes valises.

Dès que nous fûmes tous assis, Flore lança sa voiture. Je m’étais installée à l’arrière et sortis aussitôt mon paquet de cigarettes. Éric ne me laissa pas le temps de l’allumer avant d’ouvrir la bouche :

« L’espace est trop confiné pour que tu puisses nous polluer. Je ne supporte pas cette odeur et je ne dois pas être le seul !
- Je te signale que Flore fume aussi, à moins que tu lui interdises aussi cela.
- Non, mais pour moi, elle a encore diminué sa consommation. Je faisais allusion à ton nouveau copain.
- David ne régente pas mon comportement, lui, insistai-je en allumant ma cigarette.
- Pourtant la fumée et les cendres doivent trop lui rappeler sa famille.
- Vas-y, explique-toi, je t’en prie.
- Tu ne vas pas me dire qu’il s’appelle David et qu’il est propriétaire de son bar à son âge par erreur. Il n’y avait qu’un juif pour sortir une traînée comme toi.
- Bravo, en plus de tout le reste, tu es antisémite. J’ignore sa religion et une athée comme moi s’en moque éperdument.
- Tu as pourtant dû t’en rendre compte, telle que je te connais. Est-il circoncis ?
- Éric ! s’indigna Flore. C’est ma voiture et je fixe les règles. Je ne veux plus entendre de propos à caractère raciste. Line, tu auras le droit à une cigarette par demi-heure. Le chauffeur choisit la musique et le prochain qui se montre désagréable finit dans le coffre. Est-ce clair ? »

Toutes les deux heures, nous nous relayâmes, appliquant le règlement de Flore à la lettre. Le voyage se déroula en silence au rythme des musiques qui changeaient.
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MessageSujet: Re: " ISMERIA "   " ISMERIA " Icon_minitimeJeu 16 Oct - 16:45

Nous franchîmes la frontière allemande dans la nuit et nous atteignîmes Brême au petit matin. Nous suivîmes ensuite les indications données par le correspondant internaute de Flore et atteignîmes un petit village à une quarantaine de kilomètres de la ville, vers la mer du Nord. Depuis la place de l’église, un parcours fléché nous conduisit dans la campagne, vers un luxueux manoir. On nous y indiqua où garer la voiture puis nous nous dirigeâmes à pieds vers le bâtiment principal.

Dans le hall, quelques bureaux étaient alignés et sur chacun, une pancarte indiquait le nom d’un pays. En silence, nous nous miment dans la file à l'attention des Français. Après quelques minutes d’attente, je commençai à ronchonner :

« Nous sommes dimanche, en vacances en Allemagne et nous faisons la queue comme si nous allions réclamer une aide à l’Assistance Sociale !
- Line, parle moins fort, me supplia Flore. Les gens commencent à nous regarder.
- Et alors ! Au moins à Ibiza, nous aurions déjà reçu notre cocktail de bienvenue et j’admirerai le bleu de la piscine.
- Calme-toi, je t’en prie. »

Pour plaire à Flore, je me tus et sortis mon paquet de cigarettes. J’allais en allumer une lorsqu’Éric me tapota sur l’épaule en me désignant un panneau du doigt.

« Je n’ai pas besoin de connaître l’Allemand pour savoir qu’il est interdit de fumer.
- La cartouche dans mon sac n' est pas là pour le décorer. »

Je lui adressai un profond sourire et allumai ma cigarette. J’avais à peine tiré une bouffée que la jeune femme derrière son bureau se leva et m’apostropha :

« Madame, le maître des lieux prie ses invités de ne pas fumer, m’expliqua-t-elle dans un parfait français où seul un léger accent me permettait de dire qu’elle était étrangère.
- Lorsque je suis invitée, lui répondis-je aussitôt, je n’ai pas pour habitude de payer. Vu le tarif exorbitant de votre petite sauterie, je m’accorde le droit de fumer, ne vous en déplaise. »

La jeune femme échangea alors deux mots avec l’organisateur occupant le bureau norvégien. Il se leva et quitta immédiatement le hall. Il revint bientôt accompagné. Autant que pouvait me laisser envisager la stature de l’homme qui le suivait, je jugeai me trouver en présence du service d’ordre. Le géant se planta devant moi et m’indiqua le panneau. Visiblement il ne parlait pas français mais je savais que nous allions nous comprendre. Je le défiai du regard et inspirai une nouvelle bouffée. Il me saisit alors le poignet sans aucune brutalité et m’arracha la cigarette des mains. Comme il se dirigeait vers un cendrier, jugeant l’incident clos, je sortis le paquet de la poche de mon jeans. Flore tenta de me dissuader mais comme nous gagnions le bureau des inscriptions, j’allumai ma deuxième cigarette.

« Madame, reprit l’interprète, vous ne devez pas fumer dans l’enceinte du bâtiment.
- Je suis en vacances, j’ai payé et je fais par conséquent ce qu’il me plaît.
- En venant ici, c’est pour jouer et vous plier aux règles du jeu. Alors pourquoi vous entêtez-vous ?
- Peut-être parce que je n’ai pas choisi ma destination de voyage. Voyez-vous je suis très énervée : entre douze heures de voitures pour arriver dans la brume allemande et les propos antisémites de mon compagnons de voyage, seules mes cigarettes me permettent de ne pas vous envoyer promener.
- Madame, dans ces conditions, je pense qu’il vaudrait mieux que vous ne vous inscriviez pas sur nos listes.
- Là, je suis d’accord avec vous. Rendez-moi mon argent et je rentre en France par le prochain train.
- Line ! s’indigna Flore. Tu ne comptes pas réellement partir.
- Reste avec Éric. Je me fais rembourser et je vous retrouve pour récupérer mes bagages.
- Madame, notre règlement ne prévoit aucune clause de remboursement pour les désistements. Je suis désolée.
- Vous ne l’êtes absolument pas. Je veux rencontrer le responsable de tout ce cirque où je fais un scandale dont vous vous souviendrez. »

La réceptionniste rappela le géant et me désigna du doigt. Il me fit signe de le suivre et nous montâmes les escaliers. Au premier étage, nous nous engageâmes dans un long corridor et nous nous arrêtâmes devant la troisième porte sur notre droite. Le géant frappa et entra. Je le suivis sans autre forme d’invitation. A ma grande surprise, je me trouvai dans un bureau high tech envahit par trois ordinateurs et tout un matériel informatique dont j’ignorai l’utilité. Sortie de mon portable, le monde virtuel ne m’intéressait pas. En revanche, l’homme qui releva le nez à notre entrée était réel. Plutôt séduisant en dépit d’un physique trop carré, je sus au regard flatteur qu’il me lança dès mon entrée que j’obtiendrai mon remboursement. Le géant et lui échangèrent quelques phrases en Allemand puis le vigile sortit. L’informaticien se pencha dans un tiroir de son bureau et en sortit un cendrier. Il se leva puis me fit signe de le suivre. Nous passâmes dans une pièce contiguë qui faisait office de salon. Plusieurs canapés en cuir noir étaient disposés autour d’une table basse en verre. L’homme y posa le cendrier et me fit signe de m’asseoir. Je m’installai en face du bibelot et allumai aussitôt une cigarette. Alors que j’allais ranger mon paquet, un scrupule me saisit et je le lui tendis.

« Je vous remercie mais je ne fume pas, me répondit-il dans un parfait français.
- Puisque vous me comprenez nous devrions pouvoir nous entendre. Je suis ici par hasard et de telles vacances ne me conviendront pas.
- En êtes-vous si sûre, Line ?
- Comment connaissez-vous mon nom ? lui demandai-je surprise. Nous n’avons pas eut le temps de nous faire enregistrer.
- Il y a peu de français dans les candidatures retenues et encore moins qui ne parlent pas l’allemand et qui ont votre physique si remarquable.
- Et puis-je savoir quelles autres informations Flore vous a-t-elle dévoilées à mon sujet ? lui demandai-je sur un ton badin tout en lui adressant un sourire plein de charme.
- Très peu, mais elle a précisé que vous seriez réticente.
- Pourquoi avoir retenu nos candidatures dans ce cas ?
- Parce que j’ai un rôle parfait pour vous et je suis persuadé que peu de femmes auront l’envergure de l’endosser. »

Son ton était flatteur et je me doutais que Flore avait dû lui en révéler beaucoup sur ma personnalité. Pourtant, il est vrai qu’il avait piqué ma curiosité et que le jeu que nous jouions m’amusait.

« Je ne désire pas rester, lui répondis-je en écrasant ma cigarette pour illustrer mon départ. J’ai demandé à vous rencontrer pour me faire rembourser et profiter pleinement de mes vacances.
- Ibiza est très surfait et je suis persuadé que ma proposition vous tentera beaucoup plus. Accordez-moi le temps du déjeuner pour vous convaincre. Après, si vous le désirez toujours, je vous rembourserai.
- Je croyais que c’était impossible.
- Je suis l’un des organisateurs, Peter Neumann, se présenta-t-il en m’embrassant la main. Acceptez-vous ?
- A condition qu’il ne s’agisse pas d’une choucroute. »

L’homme sourit et se leva.

« J’envisageai plutôt un restaurant italien.
- Le hasard fait admirablement les choses, ironisai-je en le suivant. Mais je doute fort qu’il y ait ce type d’établissement dans ce bled perdu.
- Je ne vais pas vous faire l’affront de l’infâme gargote que nous avons à quelques kilomètres. M’accompagnerez-vous à Brême ? »

Je fronçai aussitôt les sourcils et marquai un temps d’arrêt. C’était une chose d’accepter de déjeuner avec un inconnu et une autre de le suivre dans sa voiture. Il remarqua ma réticence et me sourit amicalement.

« Si vous avez peur, nous pouvons informer votre amie de votre départ. »

Cette idiote de Flore avait dû répondre à un test de personnalité en mon nom et ce Peter savait exactement sur quel bouton appuyer pour me manipuler. La perspective de m’éloigner d’Éric pour quelques heures me convainquit de suivre l’Allemand après avoir vérifié la présence de ma bombe lacrymogène au fond de mon sac.
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MessageSujet: Re: " ISMERIA "   " ISMERIA " Icon_minitimeVen 17 Oct - 12:03

Peter me conduisit à travers plusieurs couloirs et nous sortîmes du manoir par une porte latérale où nous attendait une voiture de sport. J’en appréciai aussitôt les lignes épurées et je souris lorsqu’il me tendit les clés.

« Vous n’avez pas peur que je la maltraite ? lui demandai-je étonnée.
- Pas avec le regard que vous avez eu en la voyant. Installez-vous au volant, je vous guiderai.
- Cette balade seule vaut mes douze heures de trajet, même avec Éric ! »

Je m’emparai des clés avec avidité et me glissai à la place du conducteur. Peter s’installa près de moi et nous empruntâmes tranquillement l’allée du manoir. Il me guida à travers un parcours touristique où je pus alternativement admirer la vue et pousser le bolide. Nous n’arrivâmes à Brême que pour l’heure du déjeuner. Peter me conduisit dans un confortable restaurant italien où il était connu. On nous installa à une bonne table et je fus obligée de reconnaître que le cadre était chaleureux, la nourriture agréable tant aux yeux qu’au palais et la compagnie de Peter fort distrayante. Il avait beaucoup d’humour et son cynisme m’était agréable. Lorsque le dessert apparut, pourtant, je n’y tenais plus et j’attaquai la première :

« Notre repas touche à sa fin et vous aviez jusqu’à l’addition pour me convaincre de rester. N’oubliez pas que vous avez chargé mes valises dans votre coffre pour prendre d’ici le train pour la France.
- Je ne le sais que trop bien, me répondit-il avec son léger accent. Mais vous n’êtes prête à m’écouter que depuis quelques minutes, n’est-ce pas ? »

Je lui souris et acquiesçai légèrement en me reculant sur ma chaise pour fumer une cigarette avant d’attaquer ma pâtisserie.

« Savez-vous quel est le thème de ce rassemblement ? me demanda-t-il en guise d’introduction.
- Je l’ignore, peut-être Donjon et Dragon ou Le Seigneur des Anneaux ?
- Je constate que vous n’êtes pas totalement ignorante sur le genre. Avec un ami, nous avons créé un scénario pour un jeu de rôle qui a su trouver des adeptes. Le produit a bien marché en Allemagne et nous travaillons actuellement sur la création d’un jeu vidéo qui en serait tiré.
- En général le passage à l’informatique détruit l’originalité du concept.
- Mais cette destruction est tellement plus lucrative. »

Je le regardai d’abord avec surprise avant d’éclater de rire. Peter me devenait beaucoup plus sympathique. Il cessait d’être un adolescent attardé pour devenir un homme d’affaire dont je comprenais les motivations. Il reprit :

« Avant le lancement de ce jeu, des puristes, fortunés et montés en association ont voulu donner corps à ma trame épique et vivre mes aventures.
- Laissez-moi deviner, le coupai-je en souriant. Les instigateurs se sont réservés les rôles principaux et nous devons patauger dans la boue pour jouer les seconds rôles ou les méchants.
- Le principe de ma trame reprend effectivement les grands classiques de genre mais les deux camps sont parfaitement jouables. En fait deux groupes, avec deux buts différents vont chercher les pierres.
- Quelles pierres ? »

L’Allemand sourit à ma question. Il avait réussi à m’intéresser et il savait que son pari était en partie gagné. Il sortit de sa poche une petite bourse et une feuille de papier.

« Dans le monde que nous avons créé, des sortes de dragons régneraient sur les hommes, limitant leur expansion. Pourtant, selon une légende, celui qui parviendrait à posséder les sept pierres et à les placer sur leur stèle pourrait contrôler ces monstres.
- Laissez-moi deviner, les uns les veulent pour protéger les hommes et les autres pour les asservir, ironisai-je en attaquant mon dessert.
- Chaque clan aura une pierre, héritée d’une lointaine légende et quatre quêtes permettront de gagner les autres pierre.
- Je croyais qu’il y avait sept joyaux.
- La dernière est détenue par une étrangère, belle comme le jour, qui ne parle pas notre langue. Elle ignore tout de leur lutte si ce n’est ce que je viens de vous apprendre divulgué par son père qui vient de mourir.
- Et vous voulez que je joue cette belle ingénue qui va gentiment remettre sa pierre au premier débile qui va me la demander, proposai-je vexée en allumant une cigarette.
- Vous ai-je dit qu’elle devait offrir sa pierre ? Dans mon jeu, personne ne la connaît. Le joueur sait seulement qu’elle ne parle pas sa langue et qu’elle est trop belle pour être honnête. Une fois qu’il l’aura trouvée, une palette de choix lui est offerte.
- Lesquels ? demandai-je intéressée malgré moi.
- La reconnaissance, l’amitié, le vol, la mort et même le charme, me sourit-il par-dessus sa tasse de café qu’il avalait.
- Si je ne suis pas obligée de donner ma pierre, puis-je tuer ?
- Vous faites partie des personnage dangereux ayant ce pouvoir.
- Puis-je éliminer tous les participants et mettre le jeu et son maître en échec en récupérant toutes les pierres, lui proposai-je avec une malice sauvage dans la voix.
- Parfaitement, me répondit-il en faisant signe au serveur de lui apporter l’addition. Laquelle choisissez-vous ? »

Peter disposa les sept pierres au centre de la table et me scruta un sourire sur les lèvres, sûr de sa victoire. Je me penchai alors au-dessus de la table en lui demandant :

« Pourrai-je fumer ?
- Vous êtes une étrangère, aux mœurs libres et surprenantes. Vous n’aurez aucune contrainte. De toute manière, je doute que vous les acceptiez.
- Très bien, je prends celle qui ressemble à un rubis.
- J’étais persuadé que le rouge serait votre couleur : la passion et la mort. Vous serez une héroïne parfaite. »

Je regardai ma pierre avec étonnement de m’être laissée embobiner avant de la fourrer dans ma poche. Je repartis avec Peter qui prit cette fois-ci le volant. Il m’emmena dans une balade grisante sur des routes de campagne qu’il connaissait parfaitement, poussant les régimes de sa Porsche dans une course effrénée.

Lorsque nous arrivâmes au manoir en milieu d’après-midi, la bâtisse était déserte. Peter m’expliqua que les différents groupes devaient être complets et que leur guide les avait conduit sur leur terrain de jeu pour qu’ils apprennent à se connaître, identifier leur rôle et leur capacité. Moi, je devais rester à l’écart, ne devant être connue de personne.

« Vous oubliez Flore et Éric, lui fis-je remarquer.
- Il y a peu de chance que vous les rencontriez.
- Et si c’était le cas, aurai-je le droit d’agir à ma guise ? Lui demandai-je en imaginant les souffrances virtuelles et réelles que je pourrai faire subir à Éric.
- Rien ne vous empêchera de vous venger du copain de votre amie, si telle est votre question. Vous pouvez décider de le tuer dès le premier jour, croyant reconnaître en lui l’assassin de votre père, ou que sais-je encore. »

J’avais suivi Peter au deuxième étage du manoir et il m’ouvrit une porte menant à une chambre confortable. Il me précisa qu’une salle de bain privée lui était attenante et que je pouvais choisir mon équipement parmi tous les objets de cette chambre. Le tout devait tenir dans un sac et deux sacoches.

« Aurai-je droit à un cheval virtuel ?
- Non réel. Flore avait mentionné que vous étiez une habile cavalière, me répondit-il en me lançant une bourse. Si vous ne vous faites pas voler, vous avez assez d’argent pour dormir et manger dans les trois auberges que nous avons créées. Soyez habile dans vos choix et détendez-vous. Je viendrai vous chercher pour le dîner. »

Il m’adressa un signe de tête en me remettant quelques feuilles puis referma la porte en me laissant seule. Les feuilles à la main, je me dirigeai vers la salle de bain et y découvrit avec plaisir une baignoire. Je fis aussitôt couler l’eau et m’y baignai avec délice. Reposée, je m’emparai des feuilles et les parcourus. L’une reprenait brièvement les éléments du scénario que je devais connaître, l’autre était un plan du jeu avec les « villages », les stèles et mon point de départ. Sur le dernier, quelques noms d’individus avec leur fonction et le lieu où les trouver étaient notés. Lorsque je sortis de mon bain, j’étais fermement décidée à mettre le jeu en échec et à leur prouver qu’une femme seule, ignorante de leur règle, pouvait tous les battre. Je déposerai les pierres selon le dessin et prouverai à ces demeurés misogynes qu’une femme leur était supérieure.

D’un pas décidé, je me dirigeai vers l’armoire et en sortit les tenues qu’on me proposait. Ignorant une tenue provocante, je choisis une tenue simple et confortable. J’optai pour un pantalon noir moulant et une tunique cintrée kaki. Je m’emparai de ciseaux et coupai un profond décolleté que je fermai par un lacet que j’obtins sur une autre tenue. Je trouvai également une belle ceinture dorée, ouvragée et permettant d’y attacher une dague en bois et quelques potions. Je me chaussais de bottes légères en daim beige et revêtis une cape assortie. Elle était chaude et me prémunirait du froid. Je m’emparai alors du sac et des sacoches. J’y enfournai mes sous-vêtements et des cigarettes en priorité, mais aucune tenue de rechange. Mon regard se porta alors sur les différents armes qui m’étaient proposées. S’il y avait combat, il serait réglementé par nos propres capacités. Je devrai essentiellement ruser jusqu’à ce que je détecte des fléchettes. A force de traîner dans les bars, j’étais redoutable et visais avec précision le centre de la cible même après plusieurs verres.
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MessageSujet: Re: " ISMERIA "   " ISMERIA " Icon_minitimeLun 20 Oct - 16:10

Sans m’en rendre compte, l’après-midi s’était écoulé et Peter frappa à ma porte alors que je finissais de me maquiller. Lorsque je sortis de la salle de bain, il s’arrêta net, me dévisageant avec passion. Son fantasme prenait corps et je savais lire le désir lorsque je le voyais dans les yeux d’un homme. Me venger de lui pour cette semaine que j’allais tout de même passer ici serait aisé. Lorsque je me penchai sur le lit pour atteindre le collier où j’avais serti la pierre, Peter , plus rapide que moi, s’en empara. Je lui accordai mon sourire séducteur, relevai mes cheveux et lui tournai le dos. Il s’approcha de moi et me l’accrochait, osant à peine m’effleurer.

« Vous êtes divine, me murmura-t-il dans le cou tandis qu’il me retournait.
- Il faut croire que j'ai su atteindre mon but. »

Il me tenait toujours les épaules et m’attira à lui. Doucement, il posa ses lèvres sur les miennes. Je plaquai alors une main ferme sur son torse et me dégageai de son étreinte avec grâce en me dirigeant vers mes affaires.

« Vous ne voudriez pas prendre de l’avance sur les autres candidats.
- Que voulez-vous dire ? me demanda-t-il en se chargeant de mes sacoches.
- Voudriez-vous me faire croire que vous ne participez pas à l’aventure ? Je serai même étonnée que vous n’ayez un rôle clé. »

Il me sourit amicalement et me demanda en descendant les escaliers le rôle que j’envisageais pour lui :

« Vous êtes le maître du jeu, je vous imagine plus dans le rôle d’un magicien, ayant certains dons de prémonition, enfin si vous voulez rester juste.
- Vous serez une ennemie bien plus redoutable que mon associé qui dirigera l’autre camp.
- Je suis même persuadée que vous aurez chacun l’une des pierres de couleurs : la bleue et la verte.
- On ne peut rien vous cacher. »

Là où le matin nous avait attendu la Porsche, se trouvaient deux chevaux. Nous partîmes au trot et nous nous éloignâmes vers les bois. Je ne tardai pas à y découvrir une petite cabane en bois, du style abris de jardin. Peter m’expliqua alors que de nombreux bâtiments du jeu étaient représentés de la sorte.

J’y pénétrai et constatai avec délectation qu’un repas chaud, des coussins et des couvertures nous y attendaient. Avec un sourire, Peter me tendit une Tequila Sunrise et nous nous installâmes sur les coussins. Après plusieurs verres, l’ambiance devint très chaleureuse et le pauvre Peter voyait rouge dès que je l’effleurais ou lui souriais hardiment.

Nous étions au milieu d’un concours pour connaître lequel de nous deux pouvaient boire le plus de Vodka, lorsque je me rendis compte qu’il avait posé sa main sur ma cuisse depuis un certain temps. Il me caressait avec insistance et remontait sensiblement ses doigts à intervalles réguliers face à la complaisance que je semblais lui témoigner en raison de l’alcool que j’avais absorbé. Je décidai alors qu’il était temps de mettre fin à la soirée si je ne voulais pas me réveiller avec quelques déconvenues le lendemain.

Plus que chancelante, je me levai péniblement et priai mon hôte de me laisser pour que je dorme un peu avant le début du jeu. Peter était aussi imbibé que moi et enhardi par l’alcool. Il se leva avec résignation et m’enlaça fermement. Croyant qu’il jouait, je le repoussai en riant lorsque son étreinte se fit plus ferme et qu’il se pencha sur moi. Devinant la suite de ses intentions, je tentai de le repousser en lui demandant de cesser ce jeu ridicule. Il ne m’entendait plus et s’empara de mes lèvres contre ma volonté. J’essayais désespérément de me dégager lorsque l’une de ses mains me relâcha. Il abattit aussitôt sa main libre sur mon épaule, tentant de m’enlever ma tunique. J’en profitai alors pour le repousser de toutes mes forces et l’alcool aidant, il partit à la renverse. Son dos et se tête percutèrent les planches de bois et il s’affala sur le sol comme une pierre.

Une peur irraisonnée me tenailla les entrailles : j’étais persuadée qu’il s’était fendu le crâne et que je l’avais tué. Je me penchai sur lui avec appréhension et vit un fin filet de sang s’écouler lentement à travers ses chevaux clairs. Angoissée, au bord de l’étourdissement, je le retournai et l’entendis alors ronfler. A moitié assommé par la chute, il s’était endormi sur le sol. Aussitôt, je lui en voulus de ma frayeur, et je pris le parti de me venger.

Moi-même embrumée par les bouteilles que nous avions bu, je fouillai dans sa poche à la recherche de la bourse avec les pierres. J’allais gagner le jeu dès le premier soir. Je m’emparai de la dernière bouteille de Tequila et m’assis sur le sol contemplant alternativement les pierres et le corps inerte de Peter. Une brillante idée me vint alors. En toute hâte, je ramassai les pierres et la lampe torche de Peter. Je pris aussi mon sac et la bouteille avant de sortir de la cabane.

J’allumai la pile électrique et pris un sentier qui, je l’espérai, finirait bien par me conduire dans une clairière. Lorsque j’atteignis une surface suffisamment dégagée, je dépliai le schéma et me mis à disposer les pierres selon le dessin. J’installai les trois colorées à chaque angle d’un grand triangle puis je revins vers son centre. Là, je disposai les trois blanches en un petit triangle équilatéral et me plaçai en son centre, la pierre noire autour du cou. Avec une délectation sauvage, je ris à la lune contente de ma victoire si facilement remportée. Je me portai alors un toast de félicitation et j’entrepris de vider ma bouteille. Je ne sus si ce fut le sommeil ou l’alcool qui gagna mais subitement, je m’effondrai dans la clairière.
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MessageSujet: Re: " ISMERIA "   " ISMERIA " Icon_minitimeMar 21 Oct - 16:12

Chapitre 2

Fondéo




La rosée sur ma joue me sortit de ma torpeur. Je repris lentement conscience de mon corps et sentis aussitôt qu’il ne fallait pas que je bouge vite. J’avais un mal de crâne insupportable et l’estomac au bord des lèvres. Je me souvins aussitôt que le mélange Tequila et Vodka de la veille n’avait pas été des plus réussis. Lentement, j’ouvris les yeux pour admettre que j’étais bien allongée sur l’herbe au milieu de nulle part. Contrairement à ma chambre, je n’aurai pas le secours immédiat d’une aspirine et je sentais que ma tête allait exploser. Mes yeux se posèrent alors sur mon sac, abandonné à côté de moi et je pensai à la présence de mes cigarettes salvatrices. Dans un effort surhumain, je tendis le bras vers la bandoulière en prenant bien soin de ne pas bouger une autre partie de mon corps. Lentement mes doigts s’approchèrent de leur cible et j’atteignis mon sac. Par des gestes précis, je l’ouvris et en sortis un paquet. Je le secouai légèrement et perçut le léger rebondissement du briquet. Je ramenai alors contre moi le précieux trésor et me mis lentement sur le dos. Avec habitude, je pris une cigarette et déposai entre mes lèvres le philtre jaune. J’approchai la flamme et tirai une profonde bouffée sur ma première cigarette de la journée.

Un calme serein m’envahit alors et lentement je m’assis. Je constatai que l’aube se levait et que grâce à ma cape, je n’avais pas eu froid. La clairière où j’étais étendue était assez dégagée, entourée d’arbres de toute part. Aucun sentier n’y menait. Je risquai d’avoir quelques difficultés à retrouver mon chemin. Je me mis alors à réfléchir sur ce que je voulais faire. Je décidai que revenir en France sans explication serait trop fâcheux pour Peter et que vue l’heure matinale, je pouvais encore rentrer à temps pour sauver son jeu. Le pauvre garçon ne méritait pas que je le ruine parce qu’hier nous avions trop bu et qu’il s’était montré trop pressent. La peur qu’il aurait en ne voyant plus les pierres suffirait à ma vengeance et s’il s’y prenait habilement, je pourrai même envisager reprendre mon rôle. En réfléchissant, j’en étais arrivée au point où cette semaine pouvait être divertissante même si je trouvais ce genre de jeu malsain.

Ma cigarette achevée, je me levai lentement et chancelai aussitôt. Le rapide mouvement que je fis pour me maintenir debout ne plut pas à mon estomac qui protesta vigoureusement. Seule l’habitude m’évita de vomir sur mes chaussures. Je m’éloignai aussitôt de l’endroit craignant que l’odeur n’entraîne une deuxième nausée lorsque mes yeux se posèrent sur la pierre posée à mes pieds. Calmement je me penchai dans l’herbe et ramassai le joyau. Il ne me fallut que quelques minutes pour toutes les retrouver puis je décidai de rejoindre ma cabane. Je sortis alors la feuille où était dessiné le plan et pris une boussole dans mon sac. Dès que je l’ouvris, l’aiguille indiqua le Nord. Pourtant mes yeux devinrent aussi rond que le cadran. La direction montrée par l’aiguille ne pouvait être correcte. Si je suivais ses informations, le soleil se levait au Sud-Ouest. J’avais beau ne pas être calée en astronomie, je n’ignorais pas que le soleil se levait à l’est.

Je fis un effort de concentration intense et tentai de me rappeler de mes cours de physique du lycée. Une boussole ne pouvait se dérégler. Une particularité physique attirait les aimants vers le Nord. Je revoyais encore mon professeur faisant l’expérience dans un verre d’eau. Je tapai sur la boussole mais rien n’y faisait, l’aiguille ne cessait d’indiquer une mauvaise direction. Énervée, je frappai plus fort et ma paume traversa la fine vitre, m’enfonçant quelques débris de verre dans la main. Malgré l’alcool qui imbibait mon corps, je sentis les différentes coupures et poussai une flopée de jurons en lâchant l’instrument inutile. Je me dirigeai vers ma bouteille de Tequila échouée sur le sol, prit un bout de ma cape et fit tomber quelques gouttes d’alcool dessus. Je passai le linge imbibé sur ma blessure pour éviter les infections lorsqu’un détail m’interpella.

Le ciel me parut se vêtir d’un étrange teinte orange. Il était bien bleu mais une impression diffuse me troublait, comme lorsque j’étais allée en Turquie. La-bas, la lumière était légèrement différente de la France et je trouvais les aubes plus rosées. J’ignorai que la luminosité pouvait être différente dans un pays aussi proche lorsque j’entendis des voix.

Les cris venaient de la droite et il s’agissait sûrement de Peter et de ses amis qui me cherchaient désespérément. J’étais assez lucide pour convenir qu’ils désiraient surtout retrouver les pierres. Je m’élançai dans leur direction mais ma tête et mon estomac protestèrent. Je calmai aussitôt mes ardeurs, et adoptai un pas moins décidé.
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MessageSujet: Re: " ISMERIA "   " ISMERIA " Icon_minitimeLun 10 Nov - 16:55

Je marchai depuis quelques minutes à travers les arbres lorsque je crus distinguer une silhouette qui venait dans ma direction. J’eus à peine le temps de réaliser que nous allions nous rencontrer, qu’une main agrippa sur mon bras et m’entraîna à sa suite en me hurlant des mots que je ne comprenais pas. A sa mise, j’en déduisis que le jeu avait commencé mais qu’il me encore temps de rendre les pierres à Peter si je me dépêchais. Il en avait peut-être même plusieurs copies et mon aventure de la veille n’aurait aucune conséquence. Puisque j’avais décidé de jouer, pourquoi ne pas suivre cet… homme.

Selon toute vraisemblance, il devait jouer un humain, sûrement d’une tribu forestière, des adeptes de la nature ou quelque chose de ce genre. Alors qu’il me faisait patauger en silence dans une rivière, probablement pour camoufler nos traces, je pus le regarder avec plus d’attention. A l’origine, il devait être allemand ou d’un pays du Nord. Il était de taille moyenne avec un visage légèrement rond qui aurait pu paraître enfantin sans la mâchoire carrée et les sourcils généreusement fournis. Malgré le maquillage qui avait coloré sa peau d’un joli bleu azur, on voyait qu’elle était claire, tout comme ses yeux bleus que des lentilles piquetaient d’éclats dorés. Ses cheveux, sûrement teints, étaient noirs et se répandaient en boucles harmonieuses autour de son visage. Il me faisait penser à une sorte de lutin des bois, en raison de ses vêtements kaki et marron qui devaient lui permettre de passer inaperçu. Le sourire qu’il me lança lorsqu’il sortit de l’eau en me tendant la main, me plut aussitôt et j’acceptai son aide avec reconnaissance.

Il me guida devant un fourré, me faisant signe de le suivre. Comme je refusais, il m’attrapa le bras et tenta de m’attirer avec lui. J’ouvris la bouche pour crier lorsque je sentis sa main se plaquer sur mes lèvres au premier son. Il se colla contre moi et me murmura à l’oreille des mots que je ne comprenais toujours pas. Je pus identifier avec certitude que sa voix était tendue et j’en déduisis qu’il craignait que le bruit rameute nos poursuivants. J’hésitais sur la suite des évènements lorsqu’il me sourit amicalement ; jusque dans ses yeux qui pétillèrent de complicité et je décidai de le suivre dans son trou. J’espérais pouvoir tirer de lui quelques information avant de partir. Je devais retrouver ma cabane. Dedans, il y aurait peut-être des traces de Peter, mon cheval et mes sacoches. Nous traversâmes son buisson et je découvris alors une petite cavité creusée derrière. En s’asseyant nous pourrions y tenir tous les deux sans aucune difficulté. Je m’installai à l’endroit qu’il m’indiqua puis il me fit signe de l’attendre. En me penchant légèrement, je le vis longer le mur et s’arrêter à la hauteur d’un arbre. Il s’accroupit et se mit à creuser. En quelques pelletés il atteignit son but et en sortit son havresac. Il l’empoigna et revint avec un grand sourire. Il s’installa en face de moi et me tendit avec complaisance sa gourde. Je pris l’outre et reniflai avant de boire. Ne sentant rien, je présumai qu’il s’agissait d’eau. Le liquide rafraîchissant descendit dans ma gorge lorsque je retirai violemment la gourde de mes lèvres tentant de recracher ce que j’avais ingurgité. L’eau était bien fraîche mais la gourde n’était pas une imitation et le liquide avait pris le goût de la bête. Je me mis alors à imaginer l’intérieur de l’outre avec l’eau en contact avec le rose de la chair de l’animal, et la nausée me reprit. Je n’eus que le temps de m’éloigner légèrement avant de vomir à nouveau. Lorsque je revins près de lui, l’homme me regardait un peu inquiet et me posa plusieurs questions que je ne comprenais toujours pas. Je niais de la tête et sortis une cigarette de mon sac pour changer le goût dans ma bouche. Il me regarda avec de grands yeux intrigués et suivit chacun de mes gestes. Alors que j’allumai l’extrémité, je lui tendis le paquet. Il me regardait étrangement et grimaça lorsque je recrachai la première bouffée. Il toussota en brassant l’air devant lui, visiblement incommodé par l’odeur et me l’arracha des lèvres. Je protestai aussitôt :

« Rendez-la moi ! Moi, j’ai le droit de fumer ! »

Ma voix l’arrêta net et il me scruta avec inquiétude. Ma gorge se serra et je me rappelai alors qu’il pouvait faire parti des personnages qui cherchaient l’Etrangère. Je me pinçai les lèvres dans un geste nerveux et commençai à m’accroupir, prête à bondir hors de cet abri. Plus rapide que moi, il devina mes intentions malgré mes mouvements lents et m’attrapa l’avant-bras.

« Revasi ! m’ordonna-t-il à voix basse. Revasi ! »

Je le regardai avec de grands yeux affolés, tentant de m’échapper de la serre de ses mains. Apeurée, mes gestes se firent plus brutaux et je tentai en vain de me débattre. Il se déploya avec une souplesse étonnante et fit un saut de côté, lui permettant d’être en face de moi, son visage à vingt centimètres du mien. Ses traits n’exprimaient aucune menace et il tentait de me sourire timidement tout en réfléchissant. Au prix d’un immense effort, je le vis légèrement courber la tête et prononcer dans ma langue un timide :

« Parlez.
- Que voulez-vous que je vous dise ? Parlez-vous le français ? Me comprenez-vous ?
- Mots. Je connaître des mots.
- Au moins, j’ai un peu de chance, lui répondis-je alors qu’il me regardait étrangement, me faisant comprendre qu’il ne saisissait pas ce que je racontais. Si vous avez fait du français au lycée, nous devrions pouvoir nous comprendre. Connaissez-vous Peter Neumann ? lui demandai-je lentement en détachant soigneusement chaque syllabe.
- Parler notre langue. Moi pas beaucoup temple.
- Temple ? Je ne comprends pas ce que vous dites. Peter Neumann ?
- Langue du temple. Vous pas la parler devant gens. Mort. »

Ainsi donc ce personnage devait savoir qui j’étais et connaissait mon point faible : ma langue natale. Il devait être une sorte d’ami de mon père et était venu vers ma cabane me chercher. Peut-être aurai-je dû me réveiller à côté de lui ? J’estimai que s’il était mon guide, nous devions commencer par les présentation et décidai de m’inspirer du plus vieux des classiques en la matière.

« Moi, Line, déclarai-je en me frappant la poitrine. Et toi ?
- Moi, Fondéo, mais plus parler langue temple. Mort. »

Je hochai affirmativement la tête. Il ramassa alors ses affaires et me tendit la main.

« Loréi, me dit-il en souriant. Line, loréi. »

J’en déduisis qu’il voulait que je le suive et je pris sa main. Son sourire s’élargit encore plus et il me montra des dents blanches dignes d’une publicité pour dentifrice. Nous sortîmes des buissons et il me guida à travers la forêt sans lâcher ma main. Nous courions sans cesse et je commençais à haleter et à le suivre avec beaucoup de difficulté lorsque mes jambes refusèrent d’avancer. Je le retins et il se retourna vers moi, surpris.

« Loréi, reprit-il en me tirant.
- Plus loréi, m’emportai-je. Je suis crevée et au bord de l’évanouissement. Je ne suis pas une grande sportive et mes deux paquets par jours ne m’aident pas, je vous l’accorde.
- Parler autre langue.
- Je ne peux pas. Je ne connais que le français et quelques brides d’anglais.
- Pas parler langue temple.
- Non, pas autre langue ! décrétai-je. Plus loréi. Je m’assois et tu attends, est-ce clair ? »

Avec résignation, je lui lâchai la main et m’assis sur un tronc d’arbre. Le bonhomme était sûrement un aficionado et s’était entraîné pendant un an pour profiter au maximum de son séjour, moi pas. S’il continuait, la sympathie que j’éprouvai pour lui n’allait pas m’empêcher de m’en débarrasser. Tranquillement, j’allongeai mes jambes et me rendis compte que les évènements de la matinée m’avait fait oublier ma gueule de bois. Pourtant, lorsque je sortis mon paquet de cigarettes, l’étau qui me serrait les tempes se rappela à ma mémoire et j’en voulus à mon lutin de m’enjoindre de sa voix stridente à ne pas fumer si j’en croyais ses gestes. Je le méprisai ouvertement, fermai à demi les yeux et appuyai mon corps sur ma main gauche, la droite tenant ma cigarette. Je sentis alors un élancement au niveau de mes entailles du matin et relevai aussitôt la main en ouvrant les yeux.

Fondéo s'empara aussitôt de ma main qu'il approcha de ses lèvres pour y effectuer une sussion. Je lui retirai brutalement le creux de la main en hurlant. Mon lutin ne fut pas impressionné par mes cris et me désigna l’emplacement où j’avais posé ma paume. Un affreux insecte noir écrasé y était. Fondéo tira à nouveau sur mon poignet et reprit ses sussions. Cette fois, je le laissai faire, comme une quiétude bienheureuse m’engourdissait. Ma tête se mit à tourner et l'instant d'après je perdis connaissance.
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MessageSujet: Re: " ISMERIA "   " ISMERIA " Icon_minitimeJeu 13 Nov - 17:25

Lorsque je repris conscience, je sentis chaque parcelle de mon corps s’éveiller lentement avec moi, comme si l’engourdissement n’avait pas affecté seulement mon cerveau, mais chaque portion de mon être. J’ouvris péniblement les yeux, me souvenant immédiatement de ce qui s'était passé. Je me demandais ce qui avait bien pu me piquer avant que je perde connaissance.

Je relevai ensuite lentement les yeux et découvris une sorte de tente. L’endroit n’était clos que par des peaux de bêtes et l’odeur des tapis de bouc n’était rien à côté du parfum pestilentiel que ces fourrures répandaient. L'air y était tellement irrespirable que si je n'avais pas eu l'estomac vide, j'aurai commencé par vomir.

Je tournai légèrement la tête et constatai que j’étais allongée sur une sorte de lit de camp en bois et que l’une de ces horreurs me couvraient. Avec effort, je dégageai ce reste de cadavre de mon corps. Lorsque mes doigts touchèrent la fourrure, j’en frémis. Ce n’était pas du polyester. Moi qui était contre le port de la fourrure et qui avais des remords à chaque fois que je m’achetais des chaussures en cuir, j’étais servie. Je pouvais identifier avec certitude les pattes, la queue et le cou. Je rejetai cette peau loin de moi et m’assis avec précaution sur ma couche. Je ne portais sur moi que ma tunique et trouvais que ce Fondéo avait eut beaucoup d’audace de me déshabiller pour seulement une entaille à la main. J’étais loin d’être pudique mais il y avait des limites.

Les pieds sur le sol, je sentais ma tête encore lourde et préférais attendre quelques minutes avant de me lever de manière définitive. Je regardai alors ma paume gauche et vis une profonde entaille à l’endroit où le dard s’était enfoncé dans ma main. Les égratignures dues à la boussole n’étaient déjà plus que de fines croûtes. J’avais toujours vite cicatrisé.

Je me mis debout et constatai avec joie que le sol ne tournoyait plus et que ma gueule de bois était partie avec le sommeil. A droite de ma couche, je reconnus mon sac et mes vêtements entassés. Je me rhabillai à la hâte et j’enfilai mes bottes lorsque Fondéo fit son apparition. Il fut surpris de me voir debout et le sourire de satisfaction qu’il m’adressa n’effaça pas le froncement de ses sourcils. Selon toute vraisemblance, il était nerveux, et mon rétablissement ne suffisait pas à l’apaiser.

« Je te remercie, Fondéo, lui souris-je. Sans toi … »

Je n’eus pas le temps de finir ma phrase. Avec la souplesse qui le caractérisait, il avait déjà traversé l’abri et me plaquait sa main sur la bouche.

« Pas parler langue temple, me gronda-t-il. Mort. Line comprendre mort ? »

Face à l’inquiétude que je lisais dans sa voix et dans ses yeux, j’opinai du chef. Il desserra alors son étreinte et se dirigea vers la sortie en silence. Il releva légèrement un pan de fourrure et regarda aux alentours. Je vis alors que le crépuscule tombait. J’étais restée inconsciente toute la journée ? Ce n’était pas possible. Fondéo revint près de moi et me dit à voix basse :

« Toi parler si personne entendre.
- Je comprends, articulai-je lentement et à voix basse ce qui me valut un large sourire de satisfaction de mon sauveur. Combien de temps suis-je restée inconsciente ? »

Fondéo fronça aussitôt à nouveau des sourcils et haussa les épaules en niant de la tête. J’en déduisis que le pauvre garçon avait oublié la leçon sur les principaux adverbes interrogatifs. Je repris alors plus lentement :

« Dehors nuit, lui dis-je sans grand espoir.
- Étoiles, me répondit-il content de lui.
- Oui, l’incitai-je espérant qu’il me comprenne. Toute la journée allongée ? »

Il me regarda en niant de la tête et en levant six doigts. Je lui souris en concluant.

« Oui, six heures. Maintenant la nuit est en train de tomber et bientôt on ne pourra plus bouger. Où sommes-nous ? »

Fondéo me fit signe de me taire. J'eus l’impression qu’il bougeait ses oreilles semblant se concentrer sur les bruits extérieurs, puis il me fit signe de m’allonger et de fermer les yeux. Lorsqu’il rejeta sur moi les peaux, je voulus protester mais j’entendis quelqu’un entrer. J’obéis aussitôt et fis mine de ne pas avoir repris connaissance. Je reconnus alors la voix mélodieuse de Fondéo dans sa langue maternelle et celle plus raillée de l’autre protagoniste. Il devait s’agir soit d’une personne âgée, soit d’un fumeur de longue date. Vu le contexte, j’en déduisis que je n’étais pas la seule adepte du tabagisme forcené. L’idée me vint alors, qu’il m’avait peut-être volé mes cigarettes et j’eus l’envie subite de vérifier. Je voulais surtout immédiatement une cigarette, sentant le manque à travers tout mon corps. Mon palais se fit plus sec et une envie de tousser me prit. Je me concentrai pour ne pas bouger, désespérant de ne pas y parvenir lorsque Fondéo releva les couvertures. J’ouvris les yeux et découvris que nous étions à nouveau seuls. Il avait mon sac dans la main et m’empoigna fermement.

« Partir. Partir vite. Comprendre ? »

J’approuvai et nous quittâmes l’abri sur le champ. J’ouvris alors de grands yeux surpris. Le campement était constitué d’une dizaine de refuges comme le mien et leurs occupants s’activaient à le démonter avec une rapidité exemplaire. Je me demandais combien de temps ces participants s’étaient entraînés à un tel exercice lorsque Fondéo tira sans ménagement sur mon bras, nous enfonçant dans la forêt.
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MessageSujet: Re: " ISMERIA "   " ISMERIA " Icon_minitimeLun 17 Nov - 16:49

Je courais aussi vite que je pouvais, tentant irrémédiablement de suivre son rythme mais je sentais qu’il me traînait désespérément, pouvant quant à lui détaler beaucoup plus vite que moi. Je n’étais pas une grande sportive mais la facilité avec laquelle il courait m’horripilait. J’allais à mon club de gymnastique au moins deux fois par semaine et parvenais à conserver un certain souffle malgré les cigarettes. Au bord de l’évanouissement sous l’effort, je buttai contre une racine et m’affalai lamentablement sur le sol. Fondéo me lâcha et s’accroupit à côté de moi, tentant de me relever.

« Vite, Line. Loréi.
- Je ne peux pas. Je dois reprendre mon souffle avant, lui répondis-je en frottant mes deux mains l’une contre l’autre pour en enlever la terre.
- Non, Line, vite ! »

Je le regardai en tentant vainement de reprendre mon souffle. Il se mit à parler de plus en plus vite dans sa langue et je sentais monter son inquiétude à mesure que sa voix devenait suraiguë. Il me tira à nouveau par le bras mais je restais lamentablement assise sur le sol. Il me saisit alors sous les aisselles et me força à me mettre debout. Il me chargea sur son épaule et fit quelque pas avant de s’écrouler à son tour.

« Trop grosse, conclut-il sans aucun remord pour ma susceptibilité.
- Si tu ne peux pas me porter, tu vas devoir attendre que je respire mieux ou pars sans moi ! Je ne t’ai jamais demandé de m’aider ! Je ne vais pas crever pour ce stupide jeux ! Je sens que je ne vais pas tarder à faire une crise d’asthme et mes pires souvenirs de colonies vont revenir. »

Fondéo me regardait de plus en plus intrigué lorsque nous entendîmes des hurlements provenir de la direction du campement que nous venions de quitter. Dans la nuit qui commençait à tomber nous vîmes des volutes de fumée s’élever au-dessus des bois. La peur me fit me relever et je saisis la main de Fondéo. Il me congratula d’un sourire et nous reprîmes notre folle poursuite. Lorsque nous entendîmes le galop de chevaux qui se rapprochaient ainsi que le cri des joueurs, mon lutin me fit signe d’arrêter et me désigna un arbre. Je le regardai en fronçant les sourcils lorsqu’il commença à grimper avec une facilité déconcertante, tels un ours. Jamais je n’y parviendrai. J’avais toujours été nulle en sport à l'école et l’escalade des arbres à mains nues n’avaient jamais fait partie de mes jeux de parfaite citadine. Qu’espérait-il ?

Lorsqu’il fut monté à une hauteur qui sembla lui convenir, je vis descendre une corde. Je la nouai à ma taille, n’ayant que peu d’espoir. Pourtant lorsque les cris ne furent qu’à quelques pas de moi, je trouvai le courage d’essayer. Je fus surprise de constater qu’aidée par la corde et poussée par une peur véritable, je parvins à atteindre une branche puis Fondéo. Il me prit la main et me saisit par la taille pour m’installer près de lui. Je posai ma tête sur son épaule, ravie de cette présence amicale. Il me congratula alors d’un sourire des plus chaleureux, m’appuya fermement contre le tronc d’arbre et me fis signe de ne plus bouger.

Des cris juste sous nos pieds nous alertèrent. Je me penchai pour regarder lorsque je fus témoin d’une scène des plus barbares. Des cavaliers poursuivaient mes nomades jusqu’à ce qu’ils les rattrapent. Le pied en avant, ils les aplatissaient sur le sol. Revenant à la charge, ils les frappaient jusqu’à ce que les pauvres bougres ne bougent plus. Ceux qui osèrent encore se lever après le passage des cavaliers furent rossés. Les autres se virent lier les mains et attacher aux chevaux puis tirer je ne sais où. Dès qu’ils furent partis, je m’indignai :

« Mais ils sont malades ! Nous sommes dans un jeu. Qu’est-ce qui passe ?
- Pas comprendre !
- Tu n’en as pas besoin. Aide-moi à quitter cette propriété. Nous devons prévenir les autorités avant qu’il y ait un meurtre. L’homme dont le bras formait un angle plus que bizarre doit voir un médecin, il ne peut plus être traîné ainsi!
- Te taire, s’affola-t-il. Retcop !
- Quoi retcop ?
- Partir vite. »

Il sauta alors de l’arbre sous mes yeux ébahis. Nous devions bien être à trois ou quatre mètres du sol et il avait fait ce saut comme s’il était d’une banalité évidente. Je descendis tant bien que mal de branche en branche. Aussitôt nous reprîmes notre course folle lorsque Fondéo m’arrêta en me désignant la rivière.

« Toi eau. Pas retcop.
- Je ne comprends pas. »

Avec fermeté, il me poussa dans l’eau et me fit signe avec ses doigts d’avancer jusqu’à un rocher. Je suivis ses instructions, m’y cachai et j’entendis alors Fondéo faire suffisamment de bruit pour attirer les cavaliers après lui. De mon observatoire, j’eus l’impression qu’il allait aussi vite que les hommes sur leurs montures et remarquai les espèces de gros chiens qui les guidaient, sûrement ce qu’il appelait retcop.

L’obscurité commençait à gagner et j’avais intérêt à me bouger rapidement si je voulais mettre une certaine distance entre ces hommes et moi. Alors que la première étoile apparaissait dans le ciel, je sortis de la rivière et courus au hasard, espérant retrouver un lieu du matin. Si je rencontrai Peter, je devrai m’en méfier comme de la peste. Il fallait prévenir la police et j’espérais que Flore et Éric ne faisaient pas partis de ces malheureux qui venaient d’être sévèrement molestés. Même Éric ne méritait pas un pareil traitement. Ce n’était qu’un imbécile, plus bête que méchant.

Perdue dans mes considérations, je n’entendis le bruit dans mon dos que trop tard.
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MessageSujet: Re: " ISMERIA "   " ISMERIA " Icon_minitimeMar 18 Nov - 17:39

Lorsque je me retournai, un cavalier me tomba dessus, me renversant de tout son poids sur le sol. Tandis que je me débattais en hurlant, il me bloqua les poignets dans ses mains puissantes et m’obligea à me relever. Je lui fus reconnaissante de ne pas avoir oublié que nous étions dans un jeu et de ne pas m’avoir battue. Je relevai alors mes yeux sur lui et fus surprise de sa jeunesse. A le regarder, il ne devait pas avoir plus de vingt ans et pourtant, il avait déjà un corps d’homme mais avec encore quelque chose d’enfantin dans les traits. Malgré la luminosité décroissante, je constatai qu’il avait la peau mate, ses cheveux étaient sombres et ses yeux me semblaient d’un étrange turquoise. Je le détaillais avec insistance lorsqu’il me baragouina un ordre dans sa langue.

N’y prêtant aucune attention, je poursuivis mon inspection, lorsque sa main s’écrasa sur ma joue me clouant au sol. Alors qu’il se penchait pour m’atteindre à nouveau, je lui envoyai mon pieds en plein visage. De toute évidence, le jouvenceau ne s’était jamais battu de sa vie et il reçut mon talon en pleine mâchoire. Je tentai alors de fuir lorsqu’il me rattrapa sans effort et me plaqua à terre. Il me retourna et levait la main pour me frapper lorsque je hurlai :

« Espèce de brute. Vous êtes aussi débile que les autres. Nous sommes dans un jeu pauvre demeuré ! Si vous les voulez, elles sont toutes dans mon sac, mais lâchez-moi ! »

Sous le coup de la surprise, ses yeux s’agrandirent et il me fixa, avec insistance avant de me répondre.

« Toi taire ou toi mourir par autres. Toi fuir temple toi pas parler la langue. Femme pas droit. Toi savoir. »

Non, je ne savais pas, je n’y comprenais rien. Peter m’avait volontairement tenue à l’écart de tout l’univers du jeu et j’ignorais la société qu’il avait créé et les règles qui la régissaient. Le jeune homme se leva et me mit debout avec une facilité surprenante. Lui, au moins, n’aurait pas eu de difficulté à me porter selon toute vraisemblance. Il m’empoigna par l’avant bras et me tira jusqu’à sa monture. Je remarquai qu’il s’agissait d’une drôle de bête mais je n’eus pas le temps de voir les subtilités du déguisement. Même les chevaux avaient eut droit à leur transformation. Pauvres bêtes !

Le soldat me lia les poignets dans le dos et attacha l’autre extrémité de la corde à son pommeau avec une fierté qui me faisait dire que j’étais sa première prisonnière. Il talonna alors sa monture et la fis avancer assez lentement pour que je puisse le suivre sans difficulté.

La nuit était définitivement tombée et je n’y voyais rien. Je ne cessais de me cogner dans des racines ou des bosquets ce qui commençait à rendre furieux le jeune soldat. Il s’impatientait de plus en plus et lorsque je tombai pour la énième fois il se pencha sur sa monture et me tira violemment les cheveux pour me relever.

« Vous êtes malade ! hurlai-je au bord de la crise de nerfs. J’abandonne ce jeu stupide. Comprenez-vous, insistai-je en découpant chaque syllabe. J’abandonne.
- Toi pas parler langue du temple ! insista-t-il. Autres soldats toi tuer et moi plus prisonnière. Toi comprendre ?
- Moi pas comprendre ! hurlai-je. Je rentre en France. J’ai mal aux pieds, j’ai faim et j’ai froid. Je ne bougerai plus d’ici. Est-ce clair ? »

Au bord de l’hystérie, je m’assis sur le sol et sentis des larmes de rage couler sur mes joues. J’étais épuisée tant nerveusement que psychologiquement, et il pouvait bien me tirer jusqu’à Berlin s’il le souhaitait, je ne bougerai plus de là. Lorsque je relevai les yeux, je ne voyais plus que les ombres plus sombres du soldat et de son cheval. Je n’entendais que le bruit qu’il faisait en fouillant dans ses sacoches puis il revint vers moi. Il alluma un rapide feu de camp, me délia les poignets et me tendit sa gourde avec une sorte de galette. Au moins, il comprenait plutôt aisément ce que je lui racontais et il ne semblait pas vraiment aussi déconnecté que les autres. Il se pencha alors plus sur moi, insistant pour que je prenne ses victuailles. L’idée du goût écœurant de l’eau dans la peau de bête me faisait hésiter. Pourtant, je relevai la tête pour le remercier d’un sourire lorsque j’ouvris de grands yeux et qu’un cri resta bloqué dans ma gorge. J’entendais vaguement le soldat baragouiner au loin, ne pouvant me concentrer sur autre chose que sur le ciel que je voyais derrière lui.

Le souffle me manqua et les halètements caractéristiques de la crise d’asthme soulevaient mon corps. Bientôt j’allais manquer d’air mais je ne parvenais pas à me calmer pour me concentrer sur ma respiration. Je ne pouvais détacher mes yeux de ces trois astres, trop brillants et trop gros pour qu’il s’agisse d’une hallucination. Trois lunes brillaient dans le ciel. Ce n’était pas possible. Tout mon être se raccrochait à cette idée : ce n’était pas possible ! Dans un jeu, on pouvait se déguiser, monter des abris et harnacher des animaux mais on ne pouvait pas créer trois faux satellites dans le ciel. Ce n’était pas possible !
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MessageSujet: Re: " ISMERIA "   " ISMERIA " Icon_minitimeJeu 20 Nov - 18:23

La tenaille qui emprisonnait mon souffle n’allait pas tarder à clore le débat lorsque le soldat versa quelque chose dans ma bouche. Je ne le sentis que lorsqu’il me pencha la tête en arrière pour que la mixture descende dans ma gorge. Elle avait un goût immonde mais au fur et à mesure qu’elle se répandait dans mon corps, je me sentais libérée. Pourtant je ne détachais toujours pas mes yeux du ciel, comme si le reste n’avait aucune importance. Je fus stoppée dans ma contemplation par le soldat qui me saisit fermement les épaules, me secouant légèrement pour m’obliger à le regarder. Il me parlait avec inquiétude dans cette langue que je ne connaissais pas. Je m’obligeai alors à le regarder avec attention et remarqua une foule de détails que je n’avais pas vu la première fois.

Il était effectivement jeune et avec des traits fins, mais ses yeux étaient surprenants. Ils étaient de ce bleu turquoise que j’avais remarqué mais pailleté d’un vert plus sombre. L’iris était allongée comme chez les chats et l’idée me vint subitement qu’il n’avait aucun mal à se guider la nuit. Mais les hommes n’ont pas cette caractéristique ! Je n’étais plus sur Terre ! Dans ma tête, des tas de questions se bousculaient lorsque l’une d’elle se présenta sur mes lèvres :

« Où suis-je ? parvins-je à lui demander péniblement.
- Pas parler langue du temple !
- Je ne connais pas d’autre langue, lui répondis-je d’une voix tremblotante. Je suis étrangère, comprenez-vous ?
- Que les prêtresses connaître langue du temple. Toi échapper ?
- Non, je ne suis jamais allée dans un temple. Je viens de loin, de très loin.
- Règle la même dans tous nos territoires. Toi venir d’un autre comté ?
- De beaucoup plus loin. Moi ne connaître aucune règle, d’accord ?
- Pas plus loin. Toi être de la race des Isméris.
- Les Isméris ?
- Moi, un Isméris. Toi être comme moi.
- Pas tout à fait. Je n’ai pas la même couleur de peau, ni la même forme d’yeux.
- Toi être malade. Mais toi jolie Isméris. D’où ? »

Je regardai le ciel avec désespoir, ne sachant comment lui expliquer que je ne venais pas de sa planète. A voir sa manière de s’habiller, ils en étaient à peu près à l’âge médiéval et mes souvenirs sur nos connaissances à cette époque étaient flous mais je me rappelais de l’histoire de Galilée et cela me suffisait. Il était mort pour avoir prétendu que la Terre était ronde, alors s’il avait dit qu’il venait d’une autre planète, on l’aurait sûrement tué sur le champ. D’ailleurs même à notre époque, je serai bonne pour l’asile. Mon soldat me regardait avec insistance, s’interrogeant sur mon silence lorsqu’une explication plausible me vint en tête :

« Je ne sais pas qui je suis. J’ai tout oublié jusqu’à ce matin. Comprenez vous ?
- Pas possible. Toi pas vouloir me dire, reprit-il sur un ton plus menaçant.
- J’ai été piquée par une bête. Je ne me souviens de rien avant, lui répondis-je en lui tendant ma main. »

Il me saisit alors le poignet avec fermeté et me l’approcha des flammes. Je vis ses pupilles légèrement se rétrécir au contact de la lumière et il passa un doigt léger dans ma paume. Cette sensation me fit grimacer. Lorsqu’il vit mon rictus, il appuya plus ferment sur l’entaille et je sentis que j’allais défaillir lorsqu’il me lâcha la main pour me saisir par les épaules.

« Toi piquer par risélop.
- Risélop, peut-être. »

Je m’emparai d’un bout de bois et tentai une vague esquisse de la petite bête noir. Le soldat approuva et reprit avec un hochement de tête.

« Risélop. Toi piquer et toi survivre. Beaucoup de chance.
- Fondéo m’a sauvée. »

Il m’empoigna alors à nouveau par les épaules en me secouant légèrement :

« Ne jamais parler Fondéo ou toi mourir. Comprendre ?
- Je ne dois ni parler ma langue ni de Fondéo devant les autres, c’est cela ? »

Il me gratifia d’un large sourire et me tendit à nouveau sa galette. Je m’en emparai d’une main décidée et croquai dans la mixture. Elle était un peu fade et pâteuse mais mangeable, surtout lorsqu’on a rien ingurgité depuis le matin. Peu importait ce qui m’arrivait, j’y réfléchirai plus tard. Le jeune soldat était mon allié si je me montrai assez fine. J’avais vu les autres barbares à l’œuvre et je préférai être sa prisonnière plutôt que libre dans un monde de brutes. Apparemment, je dépendrai de lui et s’il me nourrissait et me protégeait jusqu’à ce que j’y vois plus clair cela me convenait. Vu les regards insistants qu’il lançait sur mon décolleté, je devrais même pouvoir rapidement le manipuler. Cela me coûterait peu, il était assez séduisant pour que cela soit supportable. J’avais quitté depuis longtemps le monde des princes et des bergères pour savoir qu’une femme gagnait beaucoup plus à accorder ses faveurs avec intelligence que de jouer les prudes. Si tous les Isméris étaient comme mon soldat, je devrai pouvoir m’en sortir le temps …

« Toi plus savoir d’où venir ? me questionna-t-il à nouveau en croquant dans sa part.
- Plus aucun souvenir.
- Moi savoir.
- Comment ? lui demandai-je la gorge serrée.
- La marque. »

Il se mit alors de profil, tira sur l’encolure de son haubert et me montra avec fierté son omoplate. J’y vis alors une sorte de tatouage, grand comme ma main. Ils étaient marqués comme des bêtes ! L’angoisse me vint alors que j’étais peut-être dans un remake de La planète des Singes.

« Mon Comté, m’expliqua-t-il en me désignant le dessin extérieur, puis ma famille car naissance… hésita-t-il en cherchant le mot.
- Naissance noble ? tentai-je.
- Mère famille Comte : naissance noble ?
- Je crois que c’est l’équivalent. »

Il se leva alors légèrement et tenta de tirer sur ma tunique lorsque je me reculai, ne sachant trop que faire. Je n’avais aucun tatouage sur tout le corps. Était-ce vraiment impossible ? Ils avaient pu me faire une espèce de marque pendant que je cuvais et c’était fort probable que je ne m’en serai pas rendu compte. Si j’étais dans un rêve ou dans un délire d’alcoolique, je pouvais aussi m’être inventée un tatouage, mais si ce n’était pas le cas…

« Moi pas te faire de mal, reprit-il d’une voix calme comme on le ferait pour pouvoir approcher un jeune chiot avant de lui enfiler son collier de propriété.
- J’ai froid. Nous regarderons ma marque un autre jour, tentai-je sans trop y croire.
- Non maintenant ! »

Même s’il était plutôt gentil, mon soldat n’avait apparemment pas l’habitude qu’on lui dise non, encore moins s’il était l’équivalent d’un noble. Je tentai de me relever lorsqu’il bondit sur moi en me plaquant au sol. Selon toute vraisemblance, ils avaient une souplesse qu’envierait n’importe quel gymnaste olympique et il fallait que je m’en souvienne à l’avenir. Étendue sur le sol, je décidai que toute résistance serait vaine et ne ferait qu’augmenter son courroux. Il s’assit sur moi, me releva avec douceur la tête et tira sur l’encolure de ma tunique. Nous étions tellement prêts des flammes que je remarquai alors que sa peau que je croyais mate était d’un léger bleu. Si je l’avais vu en pleine journée, j’aurai sûrement douté plus tôt d’être dans un monde imaginaire. En réfléchissant, même Fondéo ne pouvait être humain. Lorsque nous avions pataugé dans la rivière, tout son maquillage aurait dû couler ! J’éclatai alors de rire face à ma propre bêtise comme je sentais mon soldat tirer de plus en plus sur ma tunique désespérant de trouver un tatouage qui n’était pas là. Le lien qui maintenait mon habit finit par céder et lorsque mon jouvenceau me lâcha, je me trouvai plus déshabillée que nécessaire. Je croisai alors son regard plein d’envie et un frisson d’angoisse me parcourut. Il me lâcha aussitôt et détourna ses yeux.

« Désolé, pas vouloir te faire de mal. »

Je refis le lien en cachant mon sourire. Décidément, j’avais beaucoup de chance. A priori, j’étais dans un monde où les relations hommes femmes étaient régies par certaines convenances semblables aux nôtres À mon avis le pauvre garçon était puceau et bientôt je ne serais plus sa prisonnière mais la maîtresse de son cœur, un vrai jeu d’enfants.

« Quelle est la marque ? lui demandai-je avec une soumission feinte.
- Toi rien, m’annonça-t-il sur un ton penaud en s’asseyant à côté de moi. Pas possible. Tous enfants marqués dès naissance pour pas les perdre, dans tous comtés.
- Qui suis je ? l’interrogeai-je en le fixant avec une intensité qui le fit changer de couleurs. Vous seul … »

Je ne pus finir ma phrase. Il m’attrapa le menton dans sa main et alors que je croyais qu’il allait m’embrasser, il me tourna le visage vers les flammes et me scruta avec attention.

« Toi avoir les yeux bleus comme moi mais peau blanche et cheveux étranges. »

Il m’inclina la tête vers le feu et tira sur une mèche.

« Cheveux peints ?
- C’est la mode des mèches, je vais chez le coiffeur, comme tout le monde. »

Ces yeux me regardèrent avec surprise car je savais pertinemment qu’il n’avait pas compris un traître mot de ce que je venais de lui dire. Il me lâcha et s’assit en face de moi. J’en profitai pour prendre mon sac et en sortir un briquet et une cigarette. Il me regardait avec intérêt, puis reprit :

« Toi étrange.
- Je n’ai pas de souvenir.
- Toi pas habillée comme nos femmes, faire choses étranges, parler langue du temple, toi pas normale.
- Pas normale ! m’indignai-je. Ce n’est pas moi qui ait la peau d’un Schtroumph.
- Pas comprendre, mais toi raison. Toi avoir yeux bleus nobles Comté mais peau et cheveux pas bons.
- Pas bons, pas bons ! Je croyais que vous me trouviez jolie ! m’emportai-je, excédée par tant de franchise.
- Vrai mais brune avec peau blanche et non bleue claire avec cheveux rouge.
- Auburn, espèce d’ignare. Et qu’est-ce que ma couleur de peau a à voir. Je ne suis pas malade, si c’est ce qui vous fait peur.
- Non ? Mais risélop vous piquer et Fondéo s’intéresser à vous. Je deviner avant.
- Mais quoi !
- Que les Comtes avec les cheveux noirs. Vous comprendre ?
- Quoi ?
- Vous pas très intelligente. Enfant pas voulue entre un Comte et une dame nable ?
- Noble, le repris-je. Vous pensez que je suis une bâtarde ?
- Pas comprendre le mot.
- Ce n’est pas grave, lui répondis-je distraitement. Une bâtarde... »

L’idée était plutôt séduisante et tous les éléments qu’il avait de moi, convergeait dans ce sens. Enfant illégitime de parents ayant une haute situation dans leur gouvernement, il était logique que je n’ai pas reçu de marque et que j’ai été tenue éloignée de tout le monde. Je pourrai avoir quelques souvenirs qui me reviendraient d’une enfance solitaire avec quelques vieilles personnes dans la forêt. On m’aurait appris leur langue interdite pour que je ne comprenne pas les gens et pour me laisser un peu plus dans l’anonymat. En recherchant mes parents, on ne pourrait les trouver puisqu’ils n’existaient pas et personne ne serait donc inquiété de ma présence avec eux. Jusqu’à ce que je comprenne où j’étais, son mensonge me plaisait.

« Nous rejoindre les autres, décida-t-il alors que j’écrasai ma cigarette. Toi être prisonnière mais personne savoir parents.
- Je ne suis pas sûre de vous comprendre.
- Toi ma prisonnière, répéta-t-il en me rabattants ma capuche sur la tête. Toi parler à personne sinon eux poser question et moi avoir peur te tuer.
- Pourquoi devriez-vous me tuer ?
- Moi seul te comprendre car apprendre dans temple, famille noble. Moi commander. Comprendre ?
- Vous êtes le chef et vous avez peur que vos hommes exigent ma mort. Mais si vous commandez, ils doivent vous respecter. Vous ordonnez et ils obéissent, que diable !
- Toi fille de Comte, me sourit-il amusé par ma véhémence. Toi taire et m’obéir jusqu’à demain nuit quand arriver dans Misnéta.
- Misnéta ?
- Grande ville Comté. Notisaprote Lalima Xétu Nufal savoir quoi faire de vous.
- Votre Noti machin chose est votre comte ?
- Non, grand soldat, le chef. D’accord ?
- Très bien, je me fais oublier jusqu’à la ville et la visite à votre général, après nous verrons. Que comptez-vous faire de moi ?
- Toi ma prisonnière, décréta-t-il avec plaisir, rester à moi. Toi comprendre ?
- Je comprends. »

Il me rattachait les mains lorsque je lui demandai avec mon sourire enjôleur quel était son nom :

« Prote Rélod Xétu Ritèn, m’énonça-t-il avec fierté.
- Et plus simplement. Comment vous appellent vos amis ?
- Amis ? Toi ma prisonnière.
- Très bien, donc comment dois-je vous appeler en tant que prisonnière !
- Rimer Prote Ritèn.
- Ce qui signifie ?
- Maître Chevalier Ritèn.
- Rien que ça ! Ravie de vous rencontrer Rimer machin chose, me moquai-je en faisant une profonde révérence.
- Toi pas ridiculiser moi et toi rappeler Rimer Prote Ritèn. Pas parler à moi, pas me regarder et tête baissée. Comprendre.
- Une parfaite attitude de soumission, j’adore ça !
- Toi calmer ou moi devoir frapper. Comprendre ?
- Vous ne me demandez pas mon nom ?
- Toi pas souvenir et moi savoir comment toi appeler.
- Puis-je en être informée ?
- Nilel.
- Nilel ?
- Prisonnière. »

Il montait sur sa bête et ne vit pas la grimace que je fis en entendant sa réponse. La situation devenait beaucoup plus compliquée que je le pensais et prenait un tour que je n’appréciais pas du tout.
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MessageSujet: Re: " ISMERIA "   " ISMERIA " Icon_minitimeVen 21 Nov - 16:15

Nous finîmes par atteindre une clairière où des feux de camp brûlaient. Pour ne pas éveiller les soupçons, je baissai la tête et suivis mon chevalier lorsqu’il descendit de sa monture et tira sur la corde pour me conduire vers le fond du campement. Je remarquai qu’il était adossé à une colline et que deux petites cavernes y étaient creusées, gardées par des sentinelles. Il me guida vers celle de droite, sectionna mes liens devant l’entrée et me coupa une mèche de cheveux qui dépassait de mon capuchon. Je compris que ce devait être leur signe distinctif en cas de litige lorsqu’il me poussa rudement dans l’antre.

L’endroit était froid, humide et nauséabonde. Plus je m’y enfonçai et plus l’odeur prenait à la gorge. Lorsque j’eus dépassé le feu principal d’une dizaine de pas, je compris pourquoi le fond de la grotte était déserté et puait autant. De toute évidence, il leur servait de latrines. Voyant ma voisine se soulager allègrement devant tout le monde, je décidai d’en faire autant et me félicitai d’avoir une grande cape qui me camouflait. Ayant mangé avec le jeune officier, je n’avais pas faim et me mis à l’écart, me roulant en boule autour de mon sac comme j’avais vu faire les sans domiciles fixes dans un reportage.

Le sol était dur, l’odeur putride, leur bavardage incessant et le sommeil ne venait évidemment pas. Comment aurais-je pu dormir dans de pareils conditions, moi qui ne supportait déjà pas l’inconfort du camping, même quatre étoiles ? Je m’étendis sur le dos et farfouillai dans mon sac à la recherche de mes cigarettes lorsque je vis trois femelles se jeter sur l’une des leurs pour lui arracher je ne sais quoi des mains. Je compris alors qu’elles s’épiaient toutes les unes les autres et que le moindre faux pas de ma part, me coûterait mon sac. J’en voyais déjà deux qui lorgnaient sur mon beau manteau et une sur mes bottes. Si j’excitais d’avantage leur convoitise, elles risquaient de m’étriper. Je décidai de les laisser se débrouiller entre elles et me roulai un peu plus en boule, me calant contre la paroi rocheuse, évitant une plus grande prise à mes ennemies. Malgré ces conditions précaires, le sommeil me gagna et je m’endormis comme une masse.

Un léger tiraillement autour du cou me réveilla. Je compris aussitôt qu’au moins une de ces folles essayait de voler mon sac. J’entrouvris à peine les yeux et la localisai avec certitude. Alors qu’elle affirmait sa prise sur mes affaires, pensant réussir son coup, je lui décrochai un magistral coup de pied dans le bas ventre. Elle tomba à la renverse et j’en profitai aussitôt pour lui sauter dessus. S’il fallait que j’en batte une pour me faire respecter, elles allaient être servies. Je ne m’étais jamais laissé monter sur les pieds dans la cour de récréation, même par les garçons, tant pis pour elle. Je lui sautai sur le ventre de tout mon poids, m’installant dessus pour lui envoyer mon poing dans la figure dans l’intention de lui briser le nez. Mon poing ne s’écrasa que sur sa joue et elle s’en empara aussitôt en me griffant tout l’avant bras. Je hurlai mais appliquai ses règles peu conventionnelles. De ma main libre, je lui empoignai ses cheveux haut sur le crâne, lui levai deux fois la tête de force en la lui cognant sur le sol. Elle tenta de me repousser en me plaquant ses mains sur le visage mais je la mordis au sang. Elle hurla et s’occupa à sauver ses doigts de mes dents. Je fus stoppée dans mon élan meurtrier par plusieurs femmes qui s’emparèrent de moi et nous séparèrent. Elles me tendirent mon sac en baragouinant dans leur langue et s’occupèrent de leur blessée. Je me levai alors très calmement malgré l’angoisse qui me tenaillait, les fixai avec haine et m’installai le plus près possible de la sortie sans donner signe de capitulation. L’aube se levait et je pris le parti de les scruter avec haine jusqu’à notre départ. Je n’eus pas longtemps à attendre.

Un soldat entra en hurlant dans la grotte et je vis toutes les femmes se lever. Étant la première, il me poussa dehors où un autre militaire me lia les poignets. Je vis que deux autres de ses compères en faisant autant et en un rien de temps nous fûmes à nouveau toutes ligotées et prêtes à les suivre. Tandis qu’on ne faisait pas attention à moi, je relevai légèrement la tête et remarquai qu’ils entravaient aussi les pieds des hommes. Vue la longueur qu’ils leur laissaient, le rythme qu’ils nous imposeraient devrait me convenir. Même si nous marchions toute la journée, je devrai pouvoir l’endurer.

Nous fûmes rassemblés en deux troupeaux distincts, étroitement surveillés par des soldats équipés de longues piques et juchés sur ces étranges bêtes que j’avais prises pour des chevaux. Ils étaient beaucoup plus gros, plus proches du gabarit d’une vache et je constatais que trois hommes pouvaient monter dessus sans que l’animal paraisse en souffrir. Les bêtes avaient une épaisse fourrure marron tachée de noir.

Mon Rimer prit la tête du groupe, suivi de ses hommes puis les deux troupeaux encerclés par des soldats aux teintes bleutées les plus extravagantes. Je remarquai que certains étaient même encore plus blancs que moi et les plus sombres passaient pour noirs. Sur cette palette, toutes les nuance de bleus devaient se trouver sur leur face. J’essayai alors d’imaginer les craintes d'Éric face à ces visages turquoise, bleu ciel ou cyan aux yeux encore plus surprenants. Je me mis à espérer pour Flore qu’elle ne connaissait pas le même enfer que moi car j’étais persuadée qu’avec le benêt qui lui servait de compagnon, ils seraient exécutés rapidement.

Les heures passaient lentement et la marche devenait de plus en plus pénible. Mon esprit qui avait gardé au fond de lui un quelconque espoir que nous étions encore dans le jeu, avait fini par comprendre que cela n’était pas possible. J’occupais ces heures à tenter de deviner ce qui m’arrivait et aucune de mes conclusions ne me plaisait. Dans la première, j’étais morte ou dans le comas et mon esprit ou je ne sais quoi, vivait sa pénitence ou quelque chose dans ce goût là. N’ayant jamais été croyante, je me souvenais vaguement que pour chaque péché, je devrais faire acte de contrition. Tentant de me souvenir des sept péchés capitaux, je m’arrêtai à la gourmandise et à la luxure, pensant que ces deux là, me condamnaient déjà pour plusieurs vies. Cette hypothèse me paraissait des plus bancales, imaginant difficilement les anges et les démons en chevaliers médiévaux, lorgnant sur les fesses des filles comme le faisaient les deux gardes à mes côtés.

Ma seconde idée était que j’étais devenue dingue, sans aucun signe avant-coureur. J’étais plongée dans une espèce de dépression, enfermée dans un asile, me cognant la tête contre des murs capitonnés de blancs. Des médecins tentaient désespérément de me ramener à la réalité en me faisant absorber toute sorte de médicaments. Si c’était le cas, je devais m’obliger à ingurgiter tout ce qu’on me proposait et particulièrement cette eau que je refusais systématiquement d’avaler. Pourtant, je ne parvenais à me convaincre que j’étais folle. Je trouvais que je réagissais de manière beaucoup trop logique pour une dépressive.

Ma troisième hypothèse était des plus farfelus et ne m’enchantait guère. Par un procédé digne d’un mauvais film de science-fiction, je me trouvais sur une autre planète, dans une autre galaxie. Si tel était le cas, je devais avant tout trouver comment j’étais arrivée ici et comment repartir au plus vite. Si je retenais cette hypothèse, je n’étais plus sur terre et on me recherchait sûrement. Pouvais-je en attendre de l’aide ?

Au départ, j’étais en Allemagne avec quinze jours de vacances de posés. N’étant pas une fille des plus stables, je doutais que quelqu’un s’inquiète pour moi avant une quinzaine de jours, et après, comment me retrouverait-on ? Je ne devais compter que sur moi-même et trouver comment j’avais atterri ici. Suivrai-je donc cette piste ? Pour l’instant, j’avais décidé de mener les trois de front. En éliminer une, diminuaient mes chances de quitter cet enfer.

Le jour déclinait et mes forces aussi. Depuis plusieurs heures je ne pensais à rien d’autre que de mettre un pied devant l’autre ayant abandonné toute idée de réflexion. Lorsque je regardais mes compagnons d’infortune, je remarquais que certain étaient encore plus épuisés que moi alors que d’autres me semblaient pouvoir continuer ainsi pendant des jours. J’avais cessé de plaindre mes pieds après la courte pause déjeuner que nous avions faite. Plusieurs fois, j’avais croisé le regarde de mon Rimer qui paraissait s’inquiéter pour moi, mais il était piégé dans son rôle de jeune officier en première mission si j’en croyais son inexpérience. Les hommes prenaient de grandes libertés et se moquaient ouvertement de lui. Si je devais rester près de lui, mon jouvenceau ne tarderait pas à devenir un maître. Il en avait les possibilités, il suffisait de lui montrer comment commander et se faire respecter. J’étais persuadée que nous aurions tous les deux beaucoup à gagner de notre association.

Absorbée par cette idée, je ne remarquai pas aussitôt que la colonne s’était arrêtée et je butai contre la femme devant moi. Elle grogna puis je suivis son regard et en restai bouche bée. Devant moi sur une plaine immense, créée par la main de l’homme (ou des Isméris) s’étendait Misnéta. La ville me donnait l’impression d’être en croissance perpétuelle. Au loin, je voyais des travailleurs aplanir le terrain pour agrandir encore la plaine. Autour de la ville, des chantiers construisaient des bâtiments et une nouvelle muraille. Plus nous nous approchions et plus je remarquais les différentes couches d’urbanisation, comme nos villes actuelles où on trouvait encore de vieilles traces de murailles gallo-romaines ou médiévales.
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MessageSujet: Re: " ISMERIA "   " ISMERIA " Icon_minitimeLun 24 Nov - 17:14

Ritèn ordonna alors une halte et les soldats prirent leurs prisonniers. Il s’empara rapidement de moi, me leva d’un bras au-dessus de sa monture et me coucha en travers de sa selle. J’allais protester lorsqu’il m’appuya sur la tête pour me faire taire et s’éloigna légèrement de la cohue que le partage causa.

« Toi pas bouger, m’expliqua-t-il à voix basse. Séparer les esclaves des prisonniers.
- Quelle est la différence ?
- Esclave, travailler dans les travaux pour Misnéta. Prisonnier, appartenir famille. Comprendre ?
- Et moi, je vais rester votre prisonnière ?
- Oui, moi pas te vendre. Moi vouloir te garder et avoir assez argent. Toi regarder, acheteur esclaves venir.
- Comment décidez-vous qui deviendra quoi ?
- Selon prix et envie du preneur ?
- Ravisseur, serait plus juste, le corrigeai-je.
- Femmes pas belles, vieux, malades et hommes minces, esclaves. Autres, prisonnier car plus utile. Toi comprendre. »

C’était limpide et logique. Je les regardais écœurée par leur trafic. Les hommes étaient déshabillés pour juger au mieux des pièces. Certaines femmes étaient achetées et violées sur place par plusieurs acquéreurs. Je vis même un vieux quinquagénaire s’offrir un frère et une sœur à peine âgé de dix ans et la caresse qu’il leur fit sur le visage me laissa aussitôt présager de leur sort.

« Vous devez empêcher cela ! hurlai-je.
- Te taire, m’ordonna-t-il en m’enfouissant la tête sur sa selle. Règle de Misnéta. Achat vente. Comprendre.
- Je refuse qu’un tel marché se fasse sous mes yeux.
- Te taire ou obliger te tuer.
- Et perdre votre or ? ironisai-je en le regardant dans les yeux contre toutes ses précautions.
- Prisonnière ! me rappela-t-il en m’aplatissant la tête d’une lourde gifle. Obéir ! »

J’entendis alors le rire gras de quelques soldats que la scène avait amusé et qui s’approchaient plus près. La situation allait devenir des plus dangereuses lorsque Ritèn apostropha celui qui devait lui servir de sous-officier, lui donna quelques ordres et piqua notre monture vers la forêt la plus proche.

Lorsqu’il nous jugea suffisamment éloignés et qu’il me jeta sur le sol, j’eus peur. Pour la première fois depuis que je m’étais réveillée dans ce monde peu ordinaire, une terrible angoisse me tenaillait. Je ne bougeais pas, ne pouvant détacher les yeux de mon soldat. Sur son visage, je lisais distinctement la rage qui l’avait envahie et la nervosité de ses mains ne me laissait rien présager de bon. De toute évidence, il cherchait quel châtiment m’infliger pour ma désobéissance. Je décidai de briser le silence, pensant que lui faire énoncer ses sévices, m’épargnerai peut-être.

« Qu’allez-vous me faire ? lui demandai-je alors qu’il se penchait sur moi, un couteau à la main.
- Je pas savoir, me répondit-il en coupant mes liens. Toi pas vouloir comprendre prisonnière.
- Je serai plus soumise, lui répliquai-je aussitôt. Je n’ai pas voulu vous manquer de respect. J’ai fait tout ce que vous m’avez demandé toute la journée mais ce spectacle m’a horrifiée. Avez-vous vu qu’ils torturaient un vieil homme pour se distraire lorsque nous sommes partis ?
- Distraction, esclave, normal.
- Pas d’où je viens.
- Donc souvenirs, me répondit-il à nouveau menaçant. Mentir beaucoup. »

J’étais à court d’idée. Je ne savais plus que répondre, prise dans mes propres mensonges et dans ces règles que je ne connaissais pas. J’allais ouvrir la bouche, tenter une approche quelconque lorsqu’il se pencha sur moi et me releva par ma tunique.

« Te taire.
- Mais je …
- Te taire, m’ordonna-t-il en me giflant si violemment que je tombai à nouveau sur le sol. Toi comprendre ?
- Que vous n’êtes que des brutes … »

Il me releva à nouveau et me frappa encore, me maintenant pour que je ne tombe pas cette fois ci.

« Te taire ! reprit-il en me fixant dans les yeux alors que je sentais le rouge me monter aux joues. Si toi parler, toi mourir, comprendre ? Bientôt arriver et Notisaprote Lalima Xétu Nufal savoir. D’accord ? »

Je me contentai d’opiner du chef, espérant que ce signe avait la même signification chez eux. Il me traîna à la lisière des quelques arbres et me désigna le campement que nous avions déserté. J’en entendais les cris et voyais des femmes et des hommes se débattre tentant d’échapper à la barbarie de leurs tortionnaires. Les esclavagistes étaient partis. Cette fois, c’était les soldats qui maltraitaient leurs propres captifs. Je voulus détourner la tête mais il me tint le menton de sa poigne ferme et m’expliqua calmement :

« Regarder, pour toi.
- Je ne comprends pas, osai-je timidement en fermant les yeux.
- Regarder ! m’ordonna-t-il. Pour sauver toi. Toi pas bonne prisonnière et moi devoir te punir. Pour pas te tuer avoir dit toi avec moi. Les hommes contents car nuit plaisir avant entrer dans la ville et vendre prisonnières. Pas habitude car pas temps. Comprendre ? »

Je ne saisissais pas tout mais je pensais pouvoir affirmer qu’à cause de mon imprudence ces hommes et ces femmes allaient se faire violer et torturer cette nuit. Leurs cris me devenaient insupportables et le spectacle me soulevait le cœur.

« Punissez-moi mais faites cesser ce carnage, je vous en prie.
- Trop tard. Toi comprendre leçon. Trop valeur pour moi te tuer et moi pas vouloir te faire de mal. Demain, rentrer dans ville et toi te taire et obéir, comprendre ?
- Je serai soumise, retournons auprès d’eux et stoppez-les.
- Pas maintenant. Moi avoir dit toi avec moi. Comprendre ? »

Il me retourna avec cette facilité que sa force lui permettait et me fixa dans les yeux. Je compris alors ce que signifiait ses paroles. Ritèn avait décidé qu’il serait un homme ce soir, sûrement excité par les cris qu’il entendait au loin. J’étais tellement épuisée que je ne me débattis pas lorsqu’il me coucha dans l’herbe. Résignée à subir le même sort que tous ces gens pour adoucir mes remords, je le laissais s’emparer de mes lèvres et passer sa main sous ma tunique. Subitement, il s’arrêta, se releva légèrement et me scruta.

« Pas ainsi. »

Il retourna à sa monture, me ligota à un arbre et s’enroula dans une couverture pour dormir. Il sommeillait depuis longtemps alors que j’écoutais encore les derniers cris dans le silence de la nuit.

A l’aube Ritèn me détacha, mais me laissa les poignets entravés. Il me coucha en travers de sa bête, puis sauta sur la selle.

« Toi pas parler de la journée, compris ? Nous traverser vite ville et toi pas te relever. Toi prisonnière dans château puis moi voir Notisaprote Lalima Xétu Nufal. Ensuite toi dans ma maison et alors à moi. »

Son ton était sans réplique et les cris de la veille résonnaient encore à mes oreilles pour que j’ose protester. Arrivés au camp, il donna quelques ordres sans descendre de monture et en quelques minutes nous repartîmes vers la ville. Je fermais les yeux aussi fort que je le pouvais ne voulant pas croiser le regard de l’un de ces malheureux. Lorsque nous entrâmes dans Misnéta, j’entendis se lever des herses et les pas différents des bêtes sur des routes pavées. Je n’ouvris les yeux que lorsque notre monture s’arrêta et que Ritèn me fit descendre. Je me trouvais dans une grande cour carrée, entourée de murs de pierre sinistres. Il me tendit mon sac tout en me poussant vers une lourde porte de bois. Il m’empoigna rudement par l’avant-bras et me fis descendre plusieurs étages par un mince escalier en colimaçon. Nous nous engouffrâmes dans un couloir sombre, éclairé par quelques maigres torches et je sus avec certitude que nous étions dans les prisons. Il me jeta dans la première cellule vide et ferma aussitôt la porte derrière moi, emportant avec lui la seule clé. Les autres prisonniers furent entassés à plusieurs dans chaque geôle et dès que les soldats furent partis des cris et des gestes menaçants fusèrent à mon encontre.

Je m’adossai contre le mur le plus éloigné, et me mis à pleurer comme une gamine dans le noir de ce cloaque qui pouvait bien devenir ma tombe.
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MessageSujet: Re: " ISMERIA "   " ISMERIA " Icon_minitimeMar 25 Nov - 17:20

Chapitre 3

Ritèn





Le premier abattement passé, je me relevai et inspectai ma cellule. Cage serait un terme plus exacte. Je n’étais pas mieux lotie que les animaux de cirques itinérants. Une pauvre couverture errait dans un coin, une gamelle traînait avec un pichet près de la grille et un seau empestait l’urine au fond.

Alors que j’allais à nouveau me laisser abattre, je sentis mon sac à mes côtés. Je le farfouillai avec joie et en sortis un paquet neuf. J’allumai aussitôt une cigarette et pus goûter quelques instants d'une paix profonde. Que deviendrai-je sans mes cigarettes ? Me traversa alors l’esprit le problème du ravitaillement. J’avais acheté une cartouche avant de partir. J’avais fumé un paquet pendant le trajet et un autre en compagnie de Peter. J’ouvrais donc mon quatrième paquet. Le rationnement allait devenir obligatoire avant que je trouve ce qu’ils fumaient dans ce coin perdu. Ils devaient forcément fumer quelque chose. Même dans Le Seigneur des Anneaux, les personnages fumaient la pipe. Je n’étais pas difficile du moment que je m’envoyais quelque chose dans les poumons. J’étais plongée dans mes pensées lorsque j’entendis les verrous de la lourde porte.

Le garde entra et j’étais persuadée que Ritèn venait me chercher. Pour parler à son général, il ne lui faudrait que quelques minutes, au plus une journée, si le bonhomme était très occupé. Selon toute vraisemblance, je ne passerais pas la nuit dans ce bouge. Le soldat passa devant ma cellule sans s’arrêter et je reconnus le militaire qui le suivait. Il s’agissait du lieutenant de Ritèn. De toute évidence, il venait déjà chercher ses prisonniers. Les deux hommes et la femme qui l’accompagnèrent n’avaient pas été frappés et ils le suivirent avec une bonne grâce qui me laissa supposer que lui non plus n’était pas une brute, contrairement aux deux autres guerriers qui survinrent après lui.

L’une des femmes hurla lorsqu’elle vit son tortionnaire et s’accrocha de toutes ses forces à ses barreaux tandis que ses compagnons d’infortune tentaient de la raisonner. La brute fit pousser ses prisonniers au fond du couloir, près de la porte, et trancha les trois doigts de la fille qui ne voulait pas lâcher les barreaux. Le sang gicla et souilla son uniforme bleu. Excédé, il la viola dans le couloir, l’offrit en cadeau aux deux gardes qui en firent autant avant qu'il ne lui tranche la gorge. La scène se passa devant ma cellule et je ne pus réprimer mon envie de vomir lorsque l’odeur du sang se rependit dans ma cage. La brute regarda alors dans ma cellule et éclata de rire avant de remonter à la surface avec ses autres prisonniers devenus d’une docilité exemplaire. Les deux gardes se chargèrent de la jeune femme. L’un coucha son corps sur son épaule et l’autre empoigna la tête par les chevaux en gloussant. Cette vision d’horreur me glaça le sang et oubliant mes résolutions je fumai trois cigarettes de suite.

Calmée, je m’emparai de la couverture et me blottis dans le coin sombre opposé au seau de pisse, tournant le dos à mes barreaux tentant d’oublier ce qui pouvait se passer dans les autres cellules. La couverture sur laquelle je m’étendis avait une odeur de moisi insoutenable et je me demandai si son précédant propriétaire ne s’était pas oublié dedans. Mais je ne pouvais pas la lâcher, elle me permettait de rester dans le noir total, de ne plus voir la légère lueur de la torche qui éclairait la mare de sang qui séchait à l’entrée de ma cellule. Je finis par m’habituer aux cris et m’aperçus que les prisonniers entre eux ne se faisaient pas de cadeau. Mes deux voisines avaient battues leur consœur pour lui voler ses vêtements.

Qu’est-ce que je faisais là ? Cette question envahissait de plus en plus mon esprit qui cherchait par tous les moyens à s’évader. Je décidai que je n’étais ni folle ni en train de mourir et que si je voulais sauver ma peau, je devais me bouger les fesses. Admettons que j’ai atterri sur cette planète par je ne sais quel procédé, pourquoi moi ?. Le hasard, je n’y croyais pas. Un vaisseau spatial qui passait par là comme dans X-files et qui m’aurait balancée sur cette planète de primates, autant dire tout de suite que j’étais folle. J’avais fait quelque chose pour déclencher le processus, ouvert une sorte de porte. Avant de me réveiller sur cette planète, je venais de boire en compagnie de Peter puis je m’étais endormie dans l’herbe au milieu de l’Allemagne. Rien ne pouvait faire penser à un rituel. Un rituel ! Ces foutues pierres en toc de Peter seraient-elles la cause de tous mes malheurs ? Il prétendait avoir inventé toute l’histoire mais il aurait très bien pu s’inspirer d’une vieille légende allemande, retrouvée avec les cailloux et que le sort fonctionne encore. Pourquoi pas ? Un peu comme dans Greemlins. De toute façon, cette hypothèse était la meilleure idée que j’avais eu depuis des heures.

Je me retournai et remarquai alors le profond silence qui régnait dans la prison. La nuit avait dû tomber et ma gamelle avait été remplie. Je l’ignorai, préférant m’emparer de mon sac. Je farfouillai à l’intérieur et retrouvai les sept pierres avec le dessin pour les placer dans le bon ordre. Avec révulsion, je m’approchai de la lumière du couloir pour distinguer les informations de la feuille. En tremblant, pleine d’espoir, je disposai les six pierres selon le schéma, me passai la noire autour du cou et m’installai en son centre attendant que le phénomène inverse se produise. Mais rien ne se passa.

Me vint alors l’idée, que la première fois je dormais. Avec précaution, je déposai les pierres dans le même ordre dans le fond de ma cellule et m’étendis en son centre. Le sommeil ne voulait pas de moi mais l’épuisement finit pas avoir raison de mon impatience et je dormis. Le bruit d’un grincement me réveilla en sursaut. Avant même que je n’ouvre les yeux, je savais que je n’avais pas bougé. La même odeur rance s’engouffra aussitôt dans mes narines. Un garde s’arrêta devant ma cellule jeta une cuillère de bouillie par dessus celle de la veille et constata que le pichet d’eau était plein avant de partir vers la cellule voisine.

Deux repas, nous étions donc le lendemain matin et j’étais toujours là. Ni les pierres, ni Ritèn ne m’avaient sauvée. J’étais pourtant persuadée qu’elles étaient le moyen de rentrer chez moi. Je les rangeai avec précaution dans mon sac lorsque leur cachette ne me parut pas des plus appropriée. Vérifiant que personne ne pouvait me voir, je les dissimulai dans les bonnets de mon soutien-gorge, trois sous chaque sein. Au moins si on me les volait, je m’en rendrais compte. J’étais persuadée que pour repartir, il me suffisait de m’étendre à l’endroit où je m’étais éveillée. Pour ce faire, il fallait que je m’échappe d’ici, que je retrouve Fondéo pour qu’il me guide dans la forêt, que je place les pierres et que je m’endorme en son centre. Rien de plus facile.

D’abord sortir d’ici, et pour ce faire Ritèn était mon unique chance. Me laisser dépérir au fond de cette cellule ne m’aiderait pas. Résignée je me levai et m’emparai de l’écuelle. Comme je m’y attendais, il n’y avait pas de couvert et l’odeur ainsi que la texture me faisaient penser aux aliments pour chiens. Dominant ma révulsion, je décidai que cette pâtée ne pouvait pas me tuer. Le goût était infâme et je dus me contrôler pour ne pas vomir. Je m’obligeai à manger une dizaine de poignées puis je m’emparai du pichet. Il était en terre cuite et le goût de l’eau devait en être assez neutre. Ce fut le cas. Par grandes goulées, je bus la moitié du pichet avant d’avoir étanché ma soif. Il faudra qu’à l’avenir je sois plus prudente, à priori, les victuailles n’étaient distribuées que deux fois par jour. Je décidai de garder ma gamelle au cas où j’aurai faim dans la journée et ne m’en débarrasserai que lorsque j’entendrai le garde.

Nous devions encore être dans la matinée lorsque les premiers tiraillements dans mon estomac se firent sentir. Je m’obligeai à ingurgiter plus de nourriture à grands renforts d’eau. Dans l’après-midi, j’étais malade. Je ne vomissais pas seulement tripes et boyaux, j’étais complètement agonisante, empoisonnée par l’eau et la nourriture que mon organisme refusait. Je ne comprenais pas, j’avais très bien supporté les galettes de Ritèn ou de ses hommes.

Lorsque le garde m’apporta mon repas du soir et qu’il vit les dégâts causés par mes vomissements, il m’aboya dessus et balança mon écuelle dans ma direction. Il pouvait bien faire ce qu’il voulait de sa nourriture et de son eau, je ne pouvais les consommer. Dans la nuit la fièvre me gagna et au matin, je commençais à toussoter. J’allais crever au fond d’une cellule médiévale sur cette planète pourrie parce que mon corps ne pouvait supporter leur immonde nourriture. Je devais réagir et vite. Il fallait que l’un des gardes prévienne Ritèn. Rassemblant le peu de force qu’il me restait, je me mis debout, ramassai mon écuelle et mon pichet et attendis le soldat. Personne ne nous avait volé nos biens, ils étaient les prises de notre maître ainsi que notre personne. Avec regret, je regardai mes doigts et y contemplai les trois bagues qui les ornaient. L’une m’avaient été offerte par ma famille à mes dix-huit ans et l’autre, le jour de l’obtention de mon DESS. Je m’étais payée la troisième lorsque j’avais décidée qu’aucune alliance ne garnirai mon auriculaire. Elle n’avait qu’une valeur symbolique même si l’améthyste était vraie et je décidai de m’en débarrasser.

Lorsque le garde se présenta devant ma cellule et qu’il se pencha pour garnir mon écuelle, j’agrippai son poignet avec une force que je ne me connaissais pas et lui tendit ma bague de mon autre main.

« Rimer Prote Ritèn, lui énonçai-je de la voix la plus distincte que je pus. Rimer Prote Ritèn. »

L’homme avait suspendu son geste violent pour se débarrasser de ma poigne et regardait avec intérêt la bague que je lui tendais. Lorsqu’il fit un geste pour la saisir, je la retirai, précisant à nouveau le nom de mon soldat tout en lui montrant ma montre. Ici, elle n’avait aucune utilité, la rotation de leur planète ne coïncidait pas avec la nôtre. Les journées étaient plus courtes. Le garde me fixa avec attention puis tendis sa large main vers la bague que je lui cédai. Sans rien ajouter, il poursuivit sa tâche. Lorsqu’il passa à nouveau devant ma cellule, son visage n’exprima aucune connivence et je craignis de m’être trompée.

J’avais pourtant remarqué que si je mourrai, mes biens ne revenaient pas aux gardes mais à mon maître. Ils n’avaient donc aucun intérêt à ce que je meure dans ce trou. J’étais dans un monde cupide et mon bijou ne les intéressait peut-être pas. Au prochain repas, j’offrirai mon manteau. Je n’avais plus rien à perdre. J’étais malade et peu habituée à vivre dans le noir, à même des pierres humides. D’ici quelques jours, en ne mangeant rien, j’aurais une pneumonie et en moins de dix la fièvre m’aurait emportée. Je m’assis à nouveau sur le sol, cherchant une cigarette dans ma besace lorsque la lourde porte se rouvrit sur le garde. Je me précipitai à la grille et entraperçus Ritèn derrière lui. J’étais sauvée. Je rassemblai rapidement mes affaires et lorsque le soldat se présenta devant moi, j’étais debout, tenant mon sac aussi solidement que je le pouvais. Il ouvrit mes barreaux et m’empoigna fermement par l’avant-bras. Je lui tendis alors ma montre qu'il m'arracha des mains avec un plaisir non feint. Il me fit traverser le couloir et me confia à Ritèn, resté dans l’embrasure de la porte. Lorsqu’il me saisit, je vis la grimace que mon soldat fit à mon contact. Je ne devais pas être belle à regarder et encore moins à sentir. Peu m’importait, je ferai les gracieuses plus tard. Pour l’instant seules les marches que je gravissaient comptaient. Après deux paliers, Ritèn me poussa dans un couloir. Lors de mon arrivée, j’étais persuadée d’avoir descendue trois étages, je n’étais donc pas encore libre.
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MessageSujet: Re: " ISMERIA "   " ISMERIA " Icon_minitimeJeu 27 Nov - 16:58

Mon soldat ouvrit une porte et m’y poussa doucement. La pièce me convenait beaucoup plus. Il s’agissait d’une sorte de chambre avec une étroite ouverture donnant sur la rue au niveau du plafond. Je devais être dans la prison de luxe. Ritèn ferma la porte dès que nous fûmes entrés et me porta avec délicatesse sur le lit.

« Moi désolé. Pas pouvoir toi sortir de prison.
- Mais pourquoi ? lui demandai-je surprise. Vous m’avez capturée, je suis donc à vous. J’ai compris la leçon la dernière fois et je suis parvenue à prévenir le garde sans parler.
- Moi savoir, me sourit-il en me rendant ma bague. Ton bracelet suffire pour service et nouvelle chambre. Toi généreuse avec mes affaires.
- Ce sont mes bien ! m’emportai-je aussitôt.
- Toi ma prisonnière, me rappela-t-il, mais moi te laisser tout à toi. Toi comprendre ?
- Monsieur est trop bon. Et maintenant, qu’est-ce qu’on attend ?
- Notisaprote Lalima Xétu Nufal.
- A tes souhaits. Qu’est-ce qu’il a ton général ?
- En guerre. Lui revenir plus tard.
- Quand ? »

Ritèn leva huit doigts comme Fondéo lors de mon réveil. Je compris alors que j’étais restée évanouie six jours dans la forêt. Le rouge me monta aussitôt aux joues pensant aux différents soins que le lutin avait dû me faire. Voyant mon changement de couleur, Ritèn crut que la fièvre revenait et me donna un flacon.

« Avant manger, puis toi aller mieux.
- Je ne peux pas manger. La nourriture me rend malade.
- Toi vie riche et pas habituée aux restes ? Toi maintenant bien manger, bracelet tout payer : nourriture, robe, tout dans… hésita-t-il en promenant un regard circulaire dans la pièce.
- Tu veux dire que j’ai acheté le garde avec ma montre ainsi que tout ce qui est dans cette pièce et toute ma nourriture ?
- Toi avoir donné grand trésor. Garde devenu ton ami. Toi reposer. Moi revenir autre jour.
- Demain ?
- Après nuit, demain ? »

J’approuvai de la tête. Il me sourit et ferma délicatement la porte. J’entendis à peine qu’il tirait un verrou derrière lui que déjà je m’endormais dans le lit moelleux.

Ma propre odeur me réveilla lorsque je fus suffisamment reposée. Je regardai par la lucarne et vis que le jour décroissait. Un repas encore fumant avait été posé sur une petite table et une bassine d’eau ainsi qu’une serviette propre avait été installées sur le coffre aux pieds de mon lit. J’avais faim mais l’idée de me laver me séduisit encore plus. Je me débarrassai en toute hâte de mon manteau devenu immonde, de mes bottes, du pantalon et de la tunique de Peter. En sous vêtements, je pris le savon grossier qui était posé sur la serviette et m’astiquai tout le corps : de la tête aux pieds. L’eau était noire quand j’eus finis et j’avais la chaire de poule mais je me sentais mieux.

Je sortis de mon sac des sous-vêtements propres, v;oulant jeter les précédents lorsque je me ravisai. La lingerie fine ne devait pas être leur fort et vu le peu de strings que j’avais, il fallait aussi que je les économise. Je cachai à nouveau les pierres à la même place et me mis en devoir de fouiller le coffre. Une robe verte aux armes du Comte de Ritèn y était rangée. Elle était sommaire mais jolie et je l’endossai avec plaisir. Je nouai les lacets dans le dos puis m’inspectai. La robe était simple mais agréable à porter. Le décolleté était avantageux et les manches tombaient presque au sol. J’attachai mes cheveux en une tresse simple dans mon dos et m’emparai de petites escarpins. J’étais heureuse de porter à nouveau des chaussures fines et m’amusais comme une gamine à jouer à la princesse.

Je m’assis alors à la table et après avoir bu la potion de Ritèn, j'entrepris de vider le plateau. Tous les mets n’étaient pas fameux mais ils étaient mangeables. J’étais à ce que j’avais pris pour le dessert lorsque le garde entra avec une torche. A son regard, je compris qu’il avait du mal à croire que j’étais la même personne. Il m’alluma avec joie plusieurs bougies et tenta même de me faire la conversation. Je niais de la tête, essayant de lui faire comprendre que je ne saisissais pas ce qu’il disait. Il me sembla qu’il devinait mes propos et alors qu’il me quittait je lui saisis doucement le bras et lui montrai mes cigarettes. Il fronça les sourcils et me fit signe qu’il ne comprenait pas. J’en allumai alors une, tirai une bouffée dessus et la lui tendis. Il en fit autant et se mit aussitôt à cracher ses poumons. Il ne devait jamais avoir rien fumé et toussait en partant. J’allais décidément devoir me rationner. La nuit était tombée et je commençais à tourner en rond dans ma nouvelle cage.

Je vis alors quelques feuilles de papiers et de l’encre. J’en pris une et notai quelques éléments que je ne devais pas oublier. Je tentai de me rappeler le nom complet de Ritèn ou celui de son général, le nom de la ville, Fondéo et les quelques mots dont je pensais savoir le sens. Je me couchai cette nuit là confiante pour la suite des évènements.

Ritèn ne me rendit visite qu’en fin de soirée et me surprit sur mon perchoir. M’ennuyant ferme dans cette chambre, j’avais tiré la table sous ma lucarne et j’y avais installé la chaise. Grimpée dessus, j’avais occupé ma journée à regarder l’agitation de la place. De toute évidence, lorsque j’étais arrivée à Misnéta je n’avais ouvert les yeux qu’à l’intérieur du château du Comte. De l’autre coté le fort donnait sur ce qui semblait être la grande place de la ville.

A les observer toute la journée, j’avais appris quantité d’informations sur les Isméris. Le matin, une sorte de marché se tenait sur la place. Ils y vendaient de tout et j’avais eu l’impression que le troc était monnaie courante. J’y avais vu marchander de la nourriture, des animaux étranges, des objets manufacturés mais aussi des hommes ou des faveurs. J’avais remarqué une présence militaire forte qui intervenait dès le moindre litige entre deux protagonistes, arbitrant d’un ton sec et sans appel. Les femmes étaient rares et à leur tenue, j’étais certaine qu’il s’agissait d’esclaves. Je tentai de les identifier les une des autres grâce à la marque que Ritèn m’avait expliquée lorsqu’il apparut. Il se précipita aussitôt vers moi et m’attrapa par la taille pour me faire descendre.

« Eux pas te voir !
- Mais personne ne fait attention à ces lucarnes près du sol. Je ne crains rien.
- Toi en danger si te remarquer. Toi obéir, d’accord ?
- Très bien, mais je supporte difficilement cette attente. Je ne sais pas quoi faire. Comprendre ? me moquai-je.
- Toi poursuivre jolie.
- Que veux-tu que je fasse de plus ? lui demandai-je irritée de ne pas lui plaire.
- Enlever couleur rouge cheveux.
- Cela ne sera pas possible. Je fais des couleurs permanentes et il va falloir attendre que mes cheveux poussent et que nous ayons un bel effet racine avant de tout couper, conclus-je en faisant le signe des ciseaux dans mes cheveux.
- Jamais ! s’emporta-t-il en ouvrant de grands yeux et en me saisissant le poignet. Femme, jamais couper cheveux avant enfant. Toi avoir enfant ?
- Sûrement pas ! Les joies de la maternité ne font pas parties de mes aspirations profondes. »

Ritèn me regardait avec de grands yeux interrogatifs. Dès que je lui parlais avec des mots dépassant le vocabulaire d’un enfant de huit ans, il ne comprenait rien, et cela m’amusait. Ainsi donc il pensait que si je me coupais les cheveux, je ne pouvais pas avoir d’enfant : surprenant et sans fondement. S’ils savaient soigner une crise d’asthme et une bronchite, leur connaissance relative aux problèmes féminins étaient plus que vagues. Je devrai pouvoir facilement ne pas tomber enceinte même si ma tablette de pilules était commencée. Je doutais être de retour avant la fin de la quinzaine.

Ritèn remettait déjà en place la table et la chaise pendant que je le regardais faire.

« Plus regarder, décréta-t-il en me conduisant vers le lit où il me fit signe de m’asseoir.
- Et que vais-je faire de mes journées jusqu’à ce que votre général daigne rentrer ?
- Moi pouvoir venir plus. Mission finie. Rien jusqu’à retour de Notisaprote Lalima Xétu Nufal.
- Voilà au moins une bonne nouvelle, lui répondis-je sans mentir. Votre première mission a-t-elle été un succès, jeune capitaine ?
- Te moquer. Prisonnière ! »

Il allait falloir que je me souvienne qu’il était mon maître et qu’il attendait de moi un minimum de respect. Il était noble et n’avait sûrement pas l’habitude qu’une femme lui parle sur ce ton. Seul mon éventuel statut de bâtarde et mon physique me valait d’échapper à ses courroux.

« Je vous prie de m’excuser mais je ne pense pas avoir grandi avec un maître qui me dictait ma conduite.
- Toi où grandir ?
- Je ne m’en souviens pas.
- Toi mentir, me répondit-il calmement. Pas important, moi savoir plus tard. »

Le garde fit alors son entrée et nous servit nos repas. Ils n’étaient pas des plus raffinés et sans alcool mais la soirée fut chaleureuse et Ritèn était d’une compagnie agréable. Il me quitta dès que j’émis des signes de fatigue et je m’endormis rapidement.
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MessageSujet: Re: " ISMERIA "   " ISMERIA " Icon_minitimeLun 1 Déc - 17:23

Dès le lendemain matin, je remis mon perchoir en place mais une sorte de verre grossier en bouchait l’ouverture. Laissant la lumière passer, il me dissimulait toute l’agitation de la place. Ma principale distraction m’avait été enlevée et mon ennui s’accrut. Ritèn passait généralement en fin de journée, sûrement après son service, et même si sa compagnie était plaisante et qu’il faisait des efforts, mon humeur devenait de plus en massacrante.
Les journées s’étiraient lamentablement et je ne supportais plus rien : ni l’inaction, ni cette robe et encore moins cette chambre. Tout m’horripilait et lorsque Ritèn entra ce soir là, je devais me défouler sur quelque chose ou j’allais devenir folle. Le pauvre garçon avait à peine fermé la porte que je lui tombais dessus :

« Comment avez vous pu faire cloîtrer cette ouverture ?
- Toi pas être vue.
- Bien sûr, moi attendre que ton vieux général revienne de je ne sais quelle guerre ! Je deviens dingue et je ne resterai pas une minute de plus dans cette cage . Tu crois peut-être qu’un gamin peut me tenir enfermer sans … »

Je n’eus pas le temps de finir ma phrase. Il m’empoigna par les épaules et me fixa droit dans les yeux :

« Toi pas oublier moi maître ! Comprendre ?
- Non, pas comprendre ! hurlai-je en le défiant. Je suis une femme libre et ce n’est pas un demeuré de chevalier de l’âge médiéval qui m’empêchera de l’être ! »

D’un brusque mouvement qui le surprit, je me dégageai de sa prise et me précipitai vers la porte. Je ne parvins qu’à l’ouvrir avant qu’il ne me rattrape. Il me repoussa rudement dans la chambre où je m’écroulai pendant qu’il claquait violemment porte. A terre, je me relevai d’un bond et lui fis à nouveau face.

« Tu as peut-être la force pour toi, néandertalien, moi l’intelligence. »

Tandis qu’il tentait de déchiffrer mes paroles en s’approchant, je m’emparai de la cruche dans mon dos et la lui brisai sur la tête. Elle lui entailla l’arcade sourcilière et je le crus suffisamment sonné pour m’échapper. Lorsque je le doublai pour atteindre la porte, il saisit ma tresse et tira violemment sur mes cheveux, me traînant de toutes ses forces en arrière. J’ignorais qu’une telle douleur pouvait survenir de mon crâne. J’eus l’impression que ma peau se décollait et qu’il allait lui rester mon scalp. Stoppée dans mon élan, je m’écroulai sur le sol. Il se pencha alors sur moi et je tentai désespérément de lui labourer le visage de mes ongles. Il m’attrapa les poignets et me remit debout. Surexcitée et furieuse je me débattais dans tous les sens, essayant de l’atteindre avec les pieds. Il parvint alors à me tenir les poignets d’une seule main et me gifla à la volée. J’ignore combien de claques s’abattirent sur mes joues jusqu’à ce que je sente la première. Lorsque des larmes perlèrent aux coins de mes yeux, il me lâcha et je m’effondrai sur le lit.

Il me laissa pleurer dans les édredons et je l’entendis ramasser les débris de la cruche puis essuyer son estafilade avant de revenir vers moi. Il me posa alors une main légère sur l’épaule en me demandant :

« Toi calmée ? »

Je ne répondis rien et m’enfonçai un peu plus dans les couvertures. Je lui faisais signe de la main de partir lorsque ses doigts me serrèrent davantage, m’obligeant à me retourner.

« Moi pas vouloir toi faire mal, m’assura-t-il d’une voix douce. Moi désolé. »

Je me contraignis alors à le regarder et je lus une profonde tristesse dans ces yeux si changeants. Les éclats de nuance vert foncé avaient pratiquement disparu et je déchiffrai une certaine angoisse sur ses traits.

« Moi aussi vouloir toi sortir prison. Moi vouloir toi dans maison et toi faire plus »

Je l’entendais qui tentait de m’expliquer qu’une fois sortie d’ici, il pourrait m’accorder des libertés que mon rang ne me permettait sûrement pas. Dès que j’esquissai un timide sourire, je vis cette petite flamme si surprenante au fond de ses pupilles se rallumer. Je me tournai alors un peu plus vers lui lorsque ma main heurta la sienne. Je sentis un frisson le parcourir. Il allait se relever lorsque je me redressai pour l’enlacer. Accrochée à son cou, je l’embrassai d’abord timidement puis avec insistance. Ritèn, peu habitué à ce genre de pratique, tenta de se libérer de mon étreinte mais se laissa facilement gagner à mes caresses. Lorsque je lui retirai la tunique de son uniforme, je fus surprise par son corps d’homme. La vie rude de soldat l’avait développé et je constatai qu’il était vraiment beau. Tandis qu’il relevait ma jupe avec une timidité touchante, j’eus envie de lui comme d’aucun autre homme depuis longtemps. Je lui enlevai doucement sa main et poussai légèrement sur ses épaules. J’allais lui offrir une première nuit d’amour dont il se souviendrait toute sa vie. Je m’assis sur lui, lui embrassant le torse tout en débouclant la ceinture de son pantalon lorsqu’il m’arrêta, me saisissant les épaules. Croyant que seule la position ne lui plaisait pas, je lui souris et tentai de l’embrasser à nouveau. D’un coup de rein, il me coucha à côté de lui avant de se tourner vers moi :

« Après. D’abord voir Notisaprote Lalima Xétu Nufal.
- Mais pourquoi ? Je reste toujours dans la prison et nous sommes tous les deux consentants. De plus, je ne connais pas de distraction plus agréable. Fais moi confiance et tout se passera bien. Laisse-toi faire, insistai-je en l’enlaçant à nouveau.
- Non, reprit-il en se levant. Nufal dire si toi noble et moi t’épouser ou si toi prisonnière et devenir concubine.
- Peu importe pour ce soir.
- Non moi te vouloir libre.
- Ne t’inquiète pas, je ne me considère pas comme ton esclave. Je suis plus que consentante, je suis entreprenante.
- Femme ou concubine , me déclara-t-il sur le pas de la porte. Demain Notisaprote venir. Demain. »

Il allait sortir alors que je le regardais avec de grands yeux désespérés lorsqu’il revint sur ses pas, m’embrassa chastement puis quitta ma chambre. Je regardais avec surprise la porte qu’il venait de franchir. Dans un monde de brutes où une fille qui refuse de suivre son maître se fait violer et tuer, il avait fallu que je tombe sur un puceau avec un corps de rêve qui voulait faire de moi une femme honnête avant de me toucher. Alors que je me déshabillais, ne conservant que mes sous-vêtements et une tunique pour dormir, je tentai de savoir s’il valait mieux pour moi devenir sa femme ou sa concubine pour rentrer chez moi. Je repoussai les édredons, ne conservant qu’un drap mince pour la nuit. Je ne savais en quelle saison nous étions, mais si les journées étaient tempérées les nuits devenaient de plus en plus chaudes. Je m’endormis en rêvant du corps de Ritèn dont j’avais une réelle envie lorsqu’un léger froissement me réveilla.

Paniquée, j’ouvris aussitôt les yeux et vit une ombre à la faible lueur de la bougie que je laissais allumer pour ne plus me réveiller dans le noir. Elle était penchée au-dessus de ma table de travail et semblait s’intéresser à mes écrits. Le léger mouvement que j’avais fait dans mes draps avait suffit à alerter l’intrus et avant que je n’eus le temps de hurler, il était déjà devant mon lit. Il me plaqua aussitôt une main puissante sur la bouche, m’obligeant à me rallonger sur ma couche tout en m’empêchant de hurler. Lorsque je croisai le regard de cette ombre, une peur primale me monta des entrailles. Je n’avais pas retrouvé cette angoisse depuis une vingtaine d’années et je ne parvenais toujours pas à me contrôler. Cet homme avait un regard aussi froid que les ténèbres et sur son visage je ne lisais aucune expression. Ces yeux ne quittaient pas les miens. Sans desserrer sa poigne, il mit un doigt sur sa bouche, me faisait signe de ne pas hurler. Lorsqu’il enleva légèrement sa main, l’idée de crier ne m’effleura même pas. Je n’avais qu’à le regarder pour savoir que si je parlais, il me tuait. J’étais à nouveau une petite fille apeurée dans sa chambre, craignant d’avoir fait une nouvelle bêtise. Aussitôt mon dos me fit mal et je me plaquai un peu plus dans mon matelas.

Lorsqu’il comprit que je ne hurlerai pas, l’homme se releva et sortit de la pièce sans m’accorder un seul regard. Je restai tétanisée dans mon lit, apeurée à l’idée qu’il puisse revenir. Avec l’aube, mes idées devinrent plus claires et je cherchai à savoir qui il pouvait être. Selon Ritèn, seul lui et mon garde me connaissaient. J’avais acheté mon geôlier suffisamment cher pour qu’il ne me trahisse jamais, même au profit de son Comte. Ritèn, quant à lui, était fidèle au-delà de toute suspicion. Pourtant j’étais sûre que cet homme n’était pas là par hasard et qu’il me cherchait. J’en étais d’autant plus persuadée qu’il semblait plus s’intéresser à mes écrits qu’à ma propre personne. Or, Ritèn qui avait reçu l’éducation d’un noble, parvenait à s’exprimer dans ma langue mais ne savait absolument pas la lire dans mon alphabet. Leurs signes étaient différents et ils me semblaient davantage correspondre à des pictogrammes qu’à des lettres.
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MessageSujet: Re: " ISMERIA "   " ISMERIA " Icon_minitimeMar 2 Déc - 16:42

Affolée, je ne me levai que lorsque mon garde m’apporta mon plateau repas. J’inspectai le pauvre homme avec méfiance mais rien dans son attitude ne laissait transparaître qu’il ait pu me trahir. Selon Ritèn, il n’y avait pourtant que deux clés de ma chambre et ils en possédaient chacun une. Serait-ce possible que mon jeune officier ait-été décontenancé par mes manières de la veille au point de m’envoyer un espion ? Je n’y croyais guère. Je me battais dans mes conjectures lorsque Ritèn se précipita dans ma chambre avec l’excitation de son âge :

« Toi prête, bien ! Toi être gentille, me rappela-t-il en m’attrapant par les épaules.
- Mais qu’est-ce qui te prend ?
- Notisaprote Lalima Xétu Nufal rentrer hier soir mission. Avoir vu après toi, me confia-t-il en rougissant jusqu’aux oreilles, ce qui m’attendris à son égard encore plus. Notisaprote venir vite. Toi gentille et toi partir avec moi. Comprendre ?
- Je te promets de me tenir tranquille Rimer Prote Ritèn, lui souris-je.
- Toi malade ? me demanda-t-il avec inquiétude. Toi jamais aussi obéir.
- Je veux sortir de cette foutue prison et si je dois ramper à tes pieds et à ceux de ton général, je le ferai. Cette nuit quelqu’un est venu me rendre visite et ce n’était pas par pure courtoisie.
- Pas possible, personne venir.
- Ritèn, je ne suis pas folle, lui répondis-je en remarquant qu’il ne tiqua pas au fait que je me permette de l’appeler par son prénom. Hier quelqu’un est venu et cette personne ne me voulait pas que du bien. Comprends-tu ?
- Pas tout, mais toi avoir peur, moi le voir, me répliqua-t-il en me serrant dans ses bras. Moi toi protéger. »

Tandis qu’il m’enlaçait, je tremblais de la tête aux pieds. Aussi surprenant que cela puisse paraître, je trouvais dans ses bras un certain réconfort et j’étais convaincue que ce gamin pourrait me protéger. Lorsqu’il sentit mes tremblements cesser, il me lâcha et me demanda :

« Comment être personne ?
- Je ne sais pas trop. C’était un homme, aussi fort que toi mais encore un peu plus grand.
- Soldat ?
- Je ne l’avais jamais vu et il ne portait pas d’uniforme. Il était plus vieux que toi et son visage était plus viril.
- Moi pas comprendre. Autres.
- Il avait des yeux noirs …. »

Ritèn éclata alors de rire et je fus aussitôt piquée par cette réaction. Comprenant mes intentions, il me prit dans ses bras et me murmura :

« Toi dormir, personne comme toi dire. Pas Isméris avoir yeux noirs.
- Pas même un malade ou un aveugle.
- Aucun, moi sûr. »

Je levai alors mon visage vers le sien et y lut une si parfaite certitude que je le crus. Peut-être avais-je effectivement rêvé, faisant ressurgir de vieilles craintes de mon passé. Je tentai un sourire méfiant et il me remercia de ma confiance d’un timide baiser lorsque la porte de ma prison s’ouvrit. Ritèn me lâcha et se retourna avec une telle vitesse que je n’eus pas le temps de voir le nouvel arrivant. Je l’entendis le saluer et compris vaguement qu’il énumérait cette longue liste de noms qui désignait son supérieur. Lorsqu’il s’effaça pour me présenter, je plongeai dans une profonde révérence, signe de ma docilité et ne croisai le regard de son Notisaprote que lorsque je me relevai. Aussitôt je me sentis oppressée. Je reconnus immédiatement mon visiteur de la veille et la même peur me leva les tripes. Je crus que j’allais leur vomir sur les pieds lorsque je vis mon ennemi s’emparer d’une bourse à sa ceinture et la lancer à Ritèn. J’entendais mon jouvenceau protester lorsque l’autre aboya deux mots. Sa voix avait la puissance d’un homme habitué à se faire obéir en toute circonstance. Elle me fit penser à celle des mangas japonais. Ritèn tenta à nouveau de protester lorsque son Notisaprote le fusilla du regard, l'obligeant au silence. Il le fixa quelques seconde puis sortit de la pièce comme il était entré, sans même m’accorder un regard.

Nous restâmes tous les deux tétanisés pendant plusieurs secondes avant que je ne m’écrie :

« Que s’est-il passé Ritèn ! Pourquoi cette bourse que tu tiens dans la main ? Tu m’as vendue !
- Moi obligé, tenta-t-il de se défendre.
- Comment ça obligé ! Je t’ai cru Ritèn ! Je t’ai suivi et j’ai été docile mais tu vas découvrir mon gaillard que je ne me fais pas berner deux fois facilement. Sors d’ici ou je vais devenir méchante !
- Moi désolé. Moi obligé.
- Tu prétendais que j’étais ton esclave ! Que tu ne me vendrais pas. Tu es un lâche Ritèn, insistai-je. Un gamin imbu de sa personne et incapable de tenir sa parole. Tu n’as aucun honneur et tu ne mérites pas le nom que tu portes, persiflai-je sachant avec quelle importance il parlait de son statut.
- Toi taire. Moi pas vouloir. Moi noble et obligé obéir seulement Comte et Notisaprote. Lui vouloir toi et avoir payé cher. Bon prix.
- Et tu es prêt à l’accepter ! Tu me dégouttes. Sors d’ici ! Tu seras heureux quand ton machin chose m’aura tuée.
- Lui pas te tuer. Lui honneur.
- Et c’est pour cette raison qu’il est venu me rendre visite hier soir !
- Toi faux. Pas Notisaprote dans ta chambre.
- Oh si, mon bonhomme. C’est ton général qui est venu hier soir. Je veux bien reconnaître une chose, il n’a pas les yeux noirs mais d’un bleu nuit des plus surprenants. Maintenant va t’en.
- Moi pas vouloir.
- Mais que tu le veuilles ou pas, c’est la réalité mon pauvre Ritèn. Quand ton Notisaprote le souhaitera, il viendra me chercher et je peux te garantir que ses intentions sont moins louables que les tiennes. »

A ces propos, je vis mon jeune officier pâlir et je sus que je touchais un point sensible. Alors que j’allais laisser libre cours à ma colère, je changeai de stratégie. Ritèn avait été obligé de me vendre et apparemment, il ne pouvait rien faire pour changer ce fait. Lui crier dessus ne me rendrait pas ma liberté. En revanche, si je manœuvrais assez finement, peut-être pourrait-il me faire évader. Même si je doutais que nous ayons beaucoup de chance de nous soustraire longtemps à l’armée de son général, j’avais une chance de parvenir à rentrer chez moi avant que le Notisaprote ne nous retrouve.

Je m’écroulai alors sur mon lit et imitai des sanglots. Ritèn, indécis, ne savait que faire face à ce changement de comportement qui le déstabilisa aussitôt.

« Moi désolé. Pas pleurer. Notisaprote pas te faire mal. Lui juste.
- Peut-être avec ses hommes, émis-je d’une petite voix. Tu ne m’as pas demandé pourquoi il est venu dans ma chambre hier. »
Je relevai alors mon visage baigné de fausses larmes et je vis une profonde inquiétude s’installer sur le beau visage de mon officier.
« Les hommes ne sont pas tous aussi doux et patients que toi, Ritèn. Tu prétendais que je suis belle…
- Toi belle. Notisaprote pas te vouloir pour femme ou concubine.
- Crois-tu qu’il aura besoin de me donner une fonction pour abuser de moi ? lui demandai-je alors que je voyais qu’il fronçait les sourcils en signe d’incompréhension. Hier soir, insistai-je pour qu’il saisisse, ton Notisaprote m’a caressée. Sa main sur mon corps m’a réveillée.
- Pas possible !
- Si Ritèn. Rappelle-toi, j’avais peur et tu l’as laissé m’acheter. »

Je jouai alors sur le registre de la femme apeurée et je me blottis dans ses bras.

« Tu sais ce qu’il me fera et après il me tuera. »

Je m’abandonnai alors un peu plus contre son torse et je le sentis se raidir. Lorsqu’il me caressa les cheveux, je sus que j’avais gagné. Il n’avait pas vingt ans et était amoureux. Avec toute la testostérone qu’il avait dans les veines, je savais qu’il ne se laisserait pas prendre sa femme.

« Avoir solution. Toi ranger affaire. Moi organiser fuite. Moi épouser toi et alors Nufal pas pouvoir acheter toi. Toi devenir noble, toi plus prisonnière. Toi comprendre. »

J’acquiesçai du chef. Ritèn était beau et courageux mais en plus, il était loin d’être sot. J’allais être obligée de devenir sa femme mais je devrais ainsi pouvoir être libre de me déplacer à ma guise. Et puis je pouvais bien me marier, dans quelques jours , voire semaines, je ne serai plus là. En attendant, il y avait pire que d’être l’épouse d’un jeune Apollon de vingt ans qui me vouait un amour inconsidéré. Je levai alors sur lui mon visage plein de reconnaissance et je l’embrassai avec une passion qui lui donna le courage qui lui manquait. Lui offrant le rôle du mâle dominant, je le laissai me quitter fermement. Dès qu’il franchit la porte, mes larmes cessèrent et un sourire de satisfaction barra mon visage. Je rangeai mes affaires à la hâte puis je vérifiai que les pierres étaient toujours en ma possession. Dès que je fus prête, je me tins, debout près de la porte, attendant son retour.
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MessageSujet: Re: " ISMERIA "   " ISMERIA " Icon_minitimeJeu 4 Déc - 17:21

En fin d’après-midi, vers l’heure à laquelle, Ritèn venait me rendre visite, ma porte s’ouvrit. Mon garde s’y glissa et me dit lentement en me tendant la main :

« Prote Rélod Xétu Ritèn. »

Je fronçai les sourcils et ne bougeai pas. J’ignorai ce qu’il tentait de me dire et je ne savais si je devais lui faire confiance. Était-il le complice de Ritèn pour mon enlèvement ou voulait-il me soustraire à ce rapt que j’avais commandité ? L’homme ne me quittait des yeux et s’empara de mon avant bras avec douceur mais fermeté. Il tenta de me conduire à sa suite mais je refusai de bouger.

« Prote Rélod Xétu Ritèn, répéta-t-il avant de parvenir à ajouter péniblement : meu sui-vre. Ami vous ? »

Je compris aussitôt que Ritèn était parvenu à lui apprendre péniblement ces quelques mots. J’empoignai alors mon sac et suivis mon garde. Alors qu’il fermait la porte à clé derrière nous, j’enfilai le capuchon qu’il m’avait tendu. Il me saisit ensuite le bras et me fit traverser le couloir de la prison. Nous remontâmes d’un étage et il me cacha dans un renfoncement.

« Ritèn, m’annonça-t-il en se postant devant moi. Ritèn ! »

Je compris alors que le soldat avait reprit son poste et que cachée dans cette entaille du mur, ses larges épaules me camouflaient aux yeux des passants. Je n’eus pas à attendre longtemps pour entendre des pas approcher. Je retenais mon souffle lorsque je reconnus deux voix : celle, mélodieuse de Ritèn et celle plus forte de son général. Mes poils se redressèrent sur ma peau et la peur qu’il me faisait m’emprisonna aussitôt le cœur comme un étau. Je sentis alors la crise d’asthme monter et désespérai de reprendre mon souffle lorsque Ritèn s’empara de mon bras.

« Vite. Nufal clé. Lui descendre pour prendre toi . Pas temps. »

Je l’entendais à peine. Le souffle me manquait lorsqu’il me saisit par les épaules, m’obligeant à le regarder.

« Après, potion. Pas temps ? »

J’acquiesçai et tentai de reprendre les rennes de mon angoisse. Je devais me calmer et m’obliger à respirer. Je repensais aux nombreux exercices de relaxation que j’avais dû faire pendant des années pour apprendre à maîtriser mon anxiété, mais notre course folle ne m’aidait guère.

« Toi trop lente, me cria Ritèn alors que je n’avais jamais couru aussi vite de ma vie. Toi gentille. »

Je le regardai et niai de la tête en signe d’incompréhension lorsque je le vis s’arrêter et me charger sur son épaule comme si je ne pesais rien. Les deux soldats reprirent leur course et je compris alors pourquoi Ritèn, comme Fondéo, me trouvaient lente. Ces Isméris me semblaient courir aussi vite que des chiens lorsque j’entendis un tintement retentir dans le bâtiment. Les deux soldats jurèrent et sortirent leurs épées. Ils continuaient leur course lorsque je reconnus la voix derrière nous. Je relevai le visage et il me sembla que le Notisaprote volait vers nous. Ses yeux se rapprochaient de nous et mon souffle se coupa littéralement. J’oubliai tous mes exercices, toutes mes tentatives de contrôle pour paniquer et chercher désespérément de l’air dans ce corps qui refusait de respirer. Des points noirs commencèrent à voiler mes yeux alors que j’entendais le garde, passé en tête, ouvrir la porte à l’autre bout du couloir. Nous allions être libre mais Ritèn me posa sur le sol. Je sentis le liquide se répandre dans mes entrailles et alors que je reprenais vie, le Notisaprote s’approchait dangereusement de nous. Le garde nous hurlait des mots que je n’avais pas besoin de comprendre pour savoir qu’il nous exhortait à nous dépêcher.

Ritèn m’aida à me remettre debout et s’élança vers la sortie lorsque la voix japonaise retentit derrière nous. Mon officier se retourna et je constatai alors que le Notisaprote n’était qu’à trois pas derrière nous. Il ordonna quelque chose à Ritèn qui refusa de la tête alors que l’autre avait parlé de l’honneur de sa famille, mots que je parvenais à reconnaître. Nufal désigna alors la ceinture de son subordonné pour y pointer la bourse. Ritèn la décrocha et l’envoya aux pieds de son maître, assurant sa prise sur mon bras. Le Notisaprote aboya je ne sais quoi et renvoya la bourse à Ritèn d’un coup de pieds en s’emparant de mon autre bras et en tirant avec force.

Je crus qu’il allait me l’arracher lorsqu’il m’attira à lui, me libérant de l’étreinte de Ritèn. Sous la force de la traction, je perdis l’équilibre et me retrouvai à genoux devant le général. Détestant cette position, je tentai de me rétablir lorsque Ritèn m’empoigna l’épaule pour essayer de m’attirer à nouveau à lui. Nufal aboya et je le vis lever son épée. Le souvenir de la prisonnière violée me revint aussitôt en mémoire et je tentais de dégager mon épaule des doigts de Ritèn lorsque je hurlai.

Le sang venait de gicler sur mon visage et je touchais des doigts sans vie. Ritèn tenait son bras sectionné contre son abdomen alors que son sang se répandait sous lui. Je poursuivais mon cri d’horreur, les yeux exorbités, ne pouvant me soustraire à cette main morte crispée sur mon épaule. Le Notisaprote, l’enleva d’une pichenette et me gifla pour que je me taise. Un silence de mort s’installa alors dans le couloir. Des soldats s’engouffraient dans le boyau, lorsque Ritèn se retourna vers mon garde et lui hurla un ordre où je ne reconnus que le nom de Fondéo qu’il prononça plusieurs fois avant que Nufal le fasse taire d’un coup de pieds au visage. Ritèn s’effondra sur le sol et j’ignorais s’il était encore vivant lorsque le Notisaprote ramassa mon sac et m’empoigna par le bras m'entrainant hors du couloir.

Trop choquée pour réagir, je le laissais m’emmener hors de la prison et me charger sur l’un de leur chevaux-vache. Nous quittâmes la cour du château et il s’élança dans les rues sombres de la ville. J’entendais que nous n’empruntions que les riches artères pavées, passant devant les constructions en pierre et en bois des maison les plus prospères de la ville. Il m’emmenait donc dans le quartier noble et je fus surprise lorsqu’il arrêta son cheval dans une petite cour. Un jeune Isméris s’approcha de nous avec diligence et s’empara des rennes de notre monture. Le Notisaprote me redressa et me posa sur le sol avant de me rejoindre. Le jeune garçon conduisait l’animal vers ce qui semblait être les écuries sous l’œil attentif de Notisaprote. J’en profitai alors pour inspecter le lieu.

La cour était pavée et ne servait qu’à y arrêter les animaux avant de pénétrer dans la maison. Je fus surprise de constater que la bâtisse, contrairement aux autres maisons, était construite uniquement en pierres et ressemblait plus à un krak qu’à un manoir. La construction de forme carrée occupait toute la largeur du terrain, ses murs servant de remparts. Elle semblait être sur deux étages avec une tour de guet et peut-être un grenier. La plupart des ouvertures n’étaient que des meurtrières et seules quelques pièces disposaient de vitres. Absorbée par la contemplation de ma nouvelle prison, je n’avais pas remarqué que le Notisaprote avait cessé d’espionner son valet et que toute son attention s’était reportée sur moi. Ses yeux s’étaient rétrécis et il me sembla qu’il tentait de lire en moi, comme s'il connaissait déjà mes projets d’évasion.

Il m’empoigna par le bras et je grimaçai déjà de douleur. La brute avait une telle force que dès demain j’aurai sûrement des hématomes. Nous montâmes les quelques marches qui permettaient d’atteindre la lourde porte dont les vantaux de bois grincèrent légèrement lorsqu’il les poussa. Nous pénétrâmes alors dans son repaire.

Nous arrivâmes directement dans une salle immense qui semblait faire pratiquement toute la superficie du bâtiment, soutenant l’étage supérieur par des piliers massifs. Quelques torches éclairaient légèrement cette pièce qui me fit frissonner tant elle était dénuée de vie. Face à nous, un grand escalier de pierre que nous empruntâmes aussitôt. Chaque pas me devenait de plus en plus pénible. Nous montions dans le noir et je compris à l’assurance qu’il déployait que le Notisaprote connaissait tellement le lieux qu’il n’avait pas besoin de lumière ou que lui aussi voyait dans le noir.

Sur le palier, je refusai d’avancer. Il m’aboya dessus et me poussa légèrement. Je n’avançai toujours pas sachant parfaitement qu’il avait la force de me tirer ou de me porter. Il n’en fit pourtant rien et se contenta de me bousculer légèrement en avant. Selon toute vraisemblance il n’était pas décidé à m’aider et devait se délecter du spectacle de me voir les deux bras en avant pour ne pas heurter un mur.

Il m’attrapa alors le poignet gauche et m’attira fermement à lui. Il m’enlaça les épaules d’un bras et me bascula légèrement la tête en arrière de son autre main. Je sentis son souffle sur mon visage, devinant qu’il me scrutait. Alors que je tremblais, persuadée qu’il allait abuser de moi dans ce couloir, il me chargea sur son épaule, navigua quelques instants dans le noir et ouvrit une porte. Il me posa dans l’obscurité et ferma aussitôt les verrous extérieurs derrière lui.

Apeurée je mis mes mains sur le sol et sentis avec mes pieds le mur qui longeait le couloir. Je m’assis alors contre la paroi, près de la porte et recroquevillai mes jambes sur ma poitrine, terrifiée et incapable de réfléchir. Si Ritèn ne m’avait pas fait absorber sa potion, je serai sûrement morte à cet instant. Je n’avais pas une peur panique du noir mais dans nos villes, on oublie cette sensation. Nous ne sommes jamais réellement dans les ténèbres. Même lorsque nous dormons, il y a toujours la légère lumière d’un lampadaire qui traverse une aspérité du volet ou la faible lueur d’un appareil électrique : celle du radio-réveil ou de la veille de la télévision. Là, je ne voyais rien, absolument rien, même après quelques minutes. Je n’entendais aucun bruit non plus et je ne savais rien de la pièce dans laquelle il m’avait enfermée.

Je commençais à me détendre légèrement lorsque la porte s’ouvrit à nouveau. Le Notisaprote entra, tenant d’une main une torche et de l’autre mon sac. Une bête sombre le suivait, un pas derrière lui. Il éructa un mot et la bête se coucha près de ma porte. Le général installa alors la torche sur un socle dans le mur prévu à cet effet et se pencha sur moi. Il me tendit une main secourable pour m’aider à me relever mais je la refusai, pleine de défis. Me souvenant de sa force, je pris tout de même le parti de me lever, préférant éviter les coups que je savais inutiles.

Un léger sourire sarcastique se dessina sur ses lèvre fines et il s’empara fermement de mon poignet. Il m’obligea à faire trois pas dans sa direction et je me trouvai près du lit. Comme je m’y attendais, il m’y poussa sans ménagement, se pencha sur moi mais me posa deux peaux de bêtes sur le corps. Je le vis alors reprendre sa torche et fermer la porte alors que l’animal était resté avec moi.

Je fus soulagée de son départ lorsqu’une angoisse encore plus terrible me prit. De toute évidence, il ne semblait pas s’intéresser à mon corps, mais sa bête dont j’entendais le souffle puissant près de mon lit pouvait être une menace. Peut-être m’avait-il offert à son monstre pour le divertir ou le nourrir ? Une peur panique me prit et je tentai un pauvre pieds hors des couvertures. La créature se mit aussitôt à gronder mais se tut dès que je m’allongeai de nouveau. Je compris qu’elle n’était là que pour me garder et qu’elle serait beaucoup plus difficile à soudoyer que mon précédent geôlier. Allongée dans le lit, je sentis toutes les tensions de la journée s’abattre sur mon corps. Contre toute attente, je m’enfonçai dans le creux de l’oreiller et m’endormis , terrassée de fatigue.
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MessageSujet: Re: " ISMERIA "   " ISMERIA " Icon_minitimeVen 5 Déc - 17:25

Chapitre 4

Edonice




Lorsque j’ouvris les yeux, le jour pénétrait dans ma chambre. Je constatai aussitôt que la bête n’était plus là et j’en déduisis que je n’étais plus cloisonnée à cette pièce. Je me levai avec précaution, tentant de ne pas faire de bruit. De toute évidence le Notisaprote avait libéré son animal mais n’avait pas trouvé utile de me réveiller. Je n’étais pas pressée de l’affronter et je voulais d’abord avoir retrouvé toute la maîtrise de ma personne.

Des yeux, je fis le tour de la chambre et constatai avec joie qu’elle n’était pas une prison mais une simple pièce. J’ignorai encore les raisons pour lesquelles cet Isméris m’avait achetée mais selon toute vraisemblance, il ne s’intéressait ni à la femme, ni à ma force de travail. La chambre était coquette et révélait une main féminine absente du hall d’entrée. Je m’approchai d’une petite glace et le sang collé sur mon visage me rappela la barbarie de la veille. Alors que je me débarbouillais, je tentais d’échafauder une stratégie face au Notisaprote. Non seulement je ne savais pas ce qu’il me voulait mais en plus j’ignorais pratiquement tout de lui. Je n'étais sure qu’une chose, j’allais devoir être impitoyable. Une seconde d’hésitation lorsque j’agirais et il me tuerait. Son comportement avec Ritèn et sa visite de l’autre nuit m’en apportaient la certitude.

Je me débarrassai de ma robe souillée et me dirigeai vers le coffre lorsqu’une des pierres tomba de sa cachette au moment où je me penchai pour atteindre un vêtement. Je devais les dissimuler autre part. Avec la brute qui me servait de maître, les porter devenait trop risqué. La pierre noire qui parait mon cou devait y rester. Tout le monde l’avait vue et sa disparition éveillerait les soupçons du Notisaprote. Jamais je ne devrai oublier qu’il était fort mais surtout intelligent et la manière dont il scrutait les choses me laissait à penser que cet homme était toujours sur le qui-vive, attentif au moindre détail. Je regardai autour de moi et décidai d’éparpiller les pierres dans les différentes cachettes que ma chambre pouvait offrir. Je sortis ensuite les tenues du coffre : des vêtements de nobles. Les deux robes dévoilaient largement les omoplates et une partie du dos. Je frémis à l’idée de me vêtir de l'une de ces tenues mais la vue du sang de Ritèn sur la mienne m’y contraignit.

J’enfilai la moins ouverte et laissai mes cheveux détachés dans mon dos pour le camoufler lorsque je découvris une étole. J’en parai aussitôt mes épaules et me regardai avec satisfaction dans la glace. J’avais décidé de ne paraître devant le Notisaprote qu’à mon avantage. Selon Ritèn, j’étais belle même pour eux et depuis des années, je savais jouer de mon corps. Après tout, il était un mâle comme les autres et je devrais pouvoir le séduire pour parvenir à mes fins. Me cambrant sur les escarpins, je sortis de la chambre avec la dignité d’une reine.

Dans le couloir, je retrouvai aussitôt la bête de la veille. À la clarté du jour, je reconnus qu’il s’agissait d’un retcop, ce qui semblait être l’équivalent de leur chien. L’animal avait plutôt le gabarit du lion avec une gueule allongée semblable à celle des crocodiles. Son pelage luisant était parcouru d’étranges reflets rouge sombre. Dès qu’il me vit, il émit un faible râle puis fit quelques pas. Je le regardai faire sans bouger lorsque je le vis se retourner, semblant m’attendre. Pour le contrarier, je partis dans l’autre direction et aussitôt il reprit son grondement puissant. Je compris qu’il valait mieux le suivre et je fis marche arrière. Nous descendîmes les degrés du grand escalier et je fus surprise de me retrouver seule dans la pièce principale.

La bête émit aussitôt une sorte de jappement et je vis apparaître une forme d’une pièce attenante. Lorsqu’elle s’approcha, je reconnus distinctement une vielle Isméris qui me fit aussitôt penser aux vieilles servantes, attachées à leur maître plus qu’à leur vie et aussi revêche qu’un huissier. Elle posa un plateau sur la grande table et repartit dans son réduit, sans m’accorder un regard. Celle-là aussi serait mon ennemie mais pour des raisons différentes du Notisaprote. Elle, il m'était facile de la mépriser souverainement.

Je m’installai calmement derrière mon assiette et goûtai aux différents plats. Leur saveur était des plus étranges mais il fallait bien reconnaître que la vieille savait cuisiner et je fis honneur à son repas. De toute évidence, le Notisaprote n’était pas présent mais il avait laissé des ordres pour que je sois traitée avec déférence. Cela me convenait parfaitement. Avec un peu de chance il serait parti en mission prolongée et j’aurai l’occasion d’en savoir un peu plus sur lui avant de le revoir.

Mon repas terminé, je me levai avec entrain et me dirigeai d’un pas décidé vers la porte. Lorsque je n’en fus plus qu’à deux pas, la bête reprit ses grognements. Je décidai de l’ignorer et j'actionnai le système de fermeture lorsque je sentis des crocs se fermer sur mon poignet. Malgré la douleur, je plantai mon regard dans celui de l’animal et continuai mon geste. L’étau de sa gueule se referma avec plus de force sur mon bras et le sang perla. Mes doigts glissèrent alors de la poignée et il me lâcha. Scrutant mon avant bras, j’y constatai la marque de trois crocs dans ma chair. Je remontai précipitamment dans ma chambre, nettoyant ma blessure avec l’eau qui me restait et m’emparai de mes cigarettes. Je redescendis dans la grande pièce et allumai une cigarette tout en me dirigeant vers le seul fauteuil de la forteresse. Avant que je n'eus le temps de m'asseoir, la bête se mit à émettre des jappements étranges et la vieille réapparut aussitôt. Elle renifla l’air avec dégoût et m’attrapa le bras. Tandis que je me dégageai facilement de sa prise, je remarquai qu’elle me pointait du doigt une porte, opposé à celle de l’entrée. Je suivis malgré moi ses indications à cause des râles menaçants de la bête et traversai la salle sans rien dire. Je me retrouvai dans une cour, close de tous côtés par des remparts. L’endroit était tout de même agréable, avec deux grands arbres pour dispenser de l’ombre et des bosquets aux odeurs et couleurs agréables. Sur la droite, un puits desservait la maison. Je m’installai sur un banc et passai ma journée, en fumant un demi-paquet. Si je continuais à ce rythme, je tomberais à cours de nicotine vers la fin de la prochaine semaine.

Le jour décroissait lorsque la vieille me cria quelque chose. Je feignis de l’ignorer et me rallumai une cigarette lorsque le retcop se leva. Il ne m’obligea pas à le suivre et je le vis rapidement revenir, son maître derrière lui. Dès que je reconnus sa silhouette, mes poils se dressèrent sur mes bras et un léger sifflement s’échappa de ma gorge. Je devais me contrôler. S’il sentait ma peur, il en jouerait encore plus et je savais combien il en coûtait de sortir de la domination d’un être régnant par la terreur. Je tirai avec force sur ma cigarette lorsqu’il se planta face à moi. Il m’adressa quelques mots avec un léger signe de tête. J’en déduisis qu’il me saluait. Je lui répondis avec un large sourire :

« Pauvre crétin, je ne comprends rien de ce que tu me dis. Ritèn ne te l’aurait-il pas précisé ? »

Le nom de son subalterne alluma aussitôt de la colère dans ses yeux et je fus satisfaite de ma remarque. Je préférai son courroux à son absence d’expression. Il m’aboya alors quelque chose en me désignant la porte. De toute évidence, il souhaitait que je rentre et je n’étais pas décidée à lui donner satisfaction. Je saisis le paquet posé près de moi et en choisis une cigarette lorsqu’il me stoppa de sa poigne et s’empara de mon paquet de l’autre main. Je fis un geste pour le récupérer mais il le broya sous mes yeux effarés. Je protestai énergiquement lorsqu’il tira plus fermement sur sa prise, m’obligeant à le suivre à l’intérieur de sa demeure.

Il me conduisit vers la grande table et m’appuya sur les épaules pour que je m’assois sur l’une des chaises à dossier. Je voulus me relever lorsque je croisai son regard. Je compris aussitôt que je l’avais assez énervé pour aujourd’hui et qu’il valait mieux que je réserve mes forces pour un combat qui en vaudrait la peine. Il s’assit en face de moi sur une chaise identique à la mienne et je l’entendis aboyer un ordre. La vieille, suivie de deux jeunes filles nous apportèrent un dîner sur des plateaux puis elles disparurent dans la pièce voisine. Au regard qu’elle me lança en fermant la porte, je compris que me servir lui coûtait et un sourire de satisfaction se dessina sur mes lèvres. Le Notisaprote prit ce signe pour une marque d’apaisement de ma part et me fit signe de me servir en me parlant calmement. Je lui obéis et nous mangeâmes en silence.

Le repas terminé, il se leva et me prit doucement le poignet. Il me fit signe de m’installer sur des coussins devant la cheminée et nous servit deux coupes d’un breuvage vert criard. Il me la tendit avec insistance. J’en reniflai le contenu lorsque je le vis en boire une petite gorgée. J’en fis autant et je fus heureuse pour la première fois depuis longtemps d’être une habituée de la boisson. Le liquide était fort mais la saveur légèrement sucrée rendait la liqueur supportable. A la troisième lampée, je la trouvais exquise. Nous bûmes en silence puis il me raccompagna à ma chambre où sa bête m’attendait déjà pour me surveiller. Au moment de me quitter, il leva son pouce en précisant :

« Edonice.
- Edonice ? demandai-je ignorant totalement ce que signifiait ce mot.
- Notisaprote Lalima Xétu Nufal, m’énonça-t-il avec une fierté qui me fit sourire en se touchant la poitrine.
- Je connais tous tes noms, mon Apollon me les a suffisamment rabâchés dans ma cellule, déclarai-je en souriant face à son froncement de sourcils. Attends que je réfléchisse, tu veux que je t’appelle Rimer Notisaprote Nufal ?
- Notisaprote Nufal, me précisa-t-il.
- C’est gentil d’enlever le maître.
- Notisaprote Nufal, répéta-t-il en se désignant avant de me montrer du doigt.
- Tu as de la chance que je veuille dormir parce que ta mixture m’a à moitié saoulée. Moi, je suis Line. »

Il nia de la tête puis se désigna à nouveau en m’énonçant ses noms.

« Tu veux réellement savoir comment je m’appelle, pourquoi pas ? Alors écoute bien : Line, articulai-je lentement en pensant qu’il avait de la chance je ne m’appelle pas Marie-Charlotte.
- Line, répéta-t-il de sa voix caverneuse. Line Nufal. Notisaprote Lalima Xétu Nufal. Line ? »

Je compris alors qu’il voulait que j’énonce mon nom en entier, à leur manière. Je savais que le premier désignait mon rang, le second le nom de la famille puis le comté et enfin le prénom. Pour le début, je décidai de conserver le terme de prisonnière, préférant éviter les pièges :

« Nilel Geslin Isméria Line, lui énonçai-je avec fierté.
- Isméria ? répéta-t-il en niant de la tête.
- Isméria, imbécile. Ritèn aurait-il oublié de te dire que j’ai perdu la mémoire à cause de je ne sais plus quelle bête et qu’il pense que je suis la bâtarde du Comte et d’une grande dame, lui répondis-je sur la défensive.
- Ilati Geslin Isméria Line, énonça-t-il sans prêter aucune attention à mes éclats de voix.
- Ilati ? Je ne comprends rien. Nous n’y arriverons jamais !
- Edonice, répéta-t-il.
- Quoi Edonice !
- Nufal reprit-il en se désignant, Line, en me pointant du doigt, Edonice, répéta-t-il enfin.
- Essaierais-tu de me faire comprendre que demain un certain Edonice va venir ici et que je vais le comprendre ou qu’il sera la raison pour laquelle tu m’as achetée ? »

Le Notisaprote ne répondit rien mais sembla légèrement satisfait de cette discussion, si on pouvait parler ainsi de l’échange que nous venions d’avoir. Il s’éloigna dans le couloir et je fermai la porte sur le retcop. Avant de me coucher, je m’installai à la petite table qui occupait l’angle gauche de ma chambre. Je pris les feuilles et la plume pour noter les informations de la journée lorsque je vis le Notisaprote ouvrir ma porte. Je fis une grimace dont il se moqua éperdument. Il marcha droit sur moi et me tendit une petite boîte qu’il ouvrit. Dedans, se trouvait une sorte de crème à l’odeur forte. Il m’empoigna alors l’avant-bras et désigna l’endroit où les crocs de son retcop s’étaient enfoncés dans ma chair. Il posa le baume devant moi et partit comme il était venu sans dire une parole. Ainsi il était assez observateur pour avoir remarqué la légère marque et il devait savoir pourquoi son stupide animal me l’avait faite. Pourtant le fait que je cherche à m’échapper ne semblait pas l’avoir courroucé et il me donnait l’impression de me récompenser de mes efforts pour cette conversation au sujet de cet Edonice en me permettant de me soigner.

Tandis que j’étalai généreusement la crème sur mon bras, je réfléchissais à ma situation. De toute évidence le Notisaprote, le supérieur de Ritèn, ne parlait pas français mais il savait que je communiquais dans la langue du temple. Vu les égards auxquels j’avais droit dans ce monde de brutes épaisses, lui aussi devait penser que j’étais une sorte de bâtarde. C’était sûrement à ce titre qu’il me considérait plus comme une ilati, titre dont j’ignorais le sens. Comme je me couchais, une idée me vint. Le Notisaprote, qui était une personnalité dans ce comté ne s’intéresserait pas à n’importe quelle bâtarde de noble même si elle avait pu être conçu avec un des membres de la famille au pouvoir. Je devais avoir une certaine importance pour lui. Peut-être cet idiot pensait-il que j’étais une sœur ou une parente qui aurait été enlevée à sa famille dès la naissance avant la marque. Cette hypothèse comblait beaucoup de mes interrogations et me satisfaisait assez. Je m’endormis en pensant que le lendemain, je devrai commencer par trouver de nouvelles cachettes pour mes pierres, avant l’arrivée d’Edonice. Plusieurs endroits de la maison et surtout du jardin me semblait convenir à merveille.
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MessageSujet: Re: " ISMERIA "   " ISMERIA " Icon_minitimeLun 8 Déc - 16:19

Je passai une nouvelle journée seule avec le retcop. La vieille régnait sur la maison, les deux filles de service et le garçon d’écurie qui servait aussi de jardinier et d’homme à tout faire. Contrairement à la veille, je décidai de mettre cette journée à profit et après être parvenue à expliquer à la servante que je voulais l’équivalent de leur lessive, je lavai mes sous-vêtements et tâchai de sauver la robe de Ritèn. La vieille tenta plusieurs fois de m’arrêter dans mon labeur me faisant comprendre qu’il s’agissait du travail d’une des filles mais je doutais que leurs critères de propreté et les miens soient comparables. Lorsque j’en eus fini avec mes dessous qu’elle regardait avec des yeux exorbités ne comprenant que trop bien leur utilité, elle m’arracha des mains la robe de Ritèn. Je tentai de la lui reprendre lorsqu’elle émit un ordre et que la bête se mit entre nous, me grognant dessus. Elle se précipita alors dans la maison et jeta le vêtement au feu.

Alors que je protestai, ne sachant comment j’allais pouvoir m’organiser avec deux robes, aucune machine à lever et pas de fer à repasser, elle me prit le poignet et me conduisit vers l’étage. Je la suivis docilement et elle me conduisit devant une porte près de ma chambre. Elle la poussa et laissa la lumière pénétrer dans le réduit. Je découvris alors de nombreuses tenues, accessoires et chaussures aux armes du Notisaprote.

« Edonice ? demandai-je en pensant qu’il pouvait s’agir de sa femme.
- Proc, répondit-elle en niant de la tête.
- A qui sont ces vêtements ? Notisaprote Nufal veut-il bien que je les porte ? lui demandai-je commençant à sentir un piège de la vieille pour que je déplaise à son maître.
- Crop, Rimer Notisaprote Nufal. »

Elle redescendit alors à ses occupations et je préférai conserver la tenue que je portai. Affronter le Notisaprote ne me faisait pas peur, en revanche tomber dans le piège de cette vieille chouette, je m’y refusais. Je remontai ma lessive dans ma chambre et repris ma position dans le jardin après avoir caché mes pierres à l’abri des regards. La chose avait été d’autant plus facile que dans les affaires du placard, j’avais trouvé un nécessaire de couture et j’avais ainsi pu cacher certaines pierres dans les doublures des vêtements, vieux truc des voyageurs français de tout temps.

La nuit état pratiquement tombée lorsque le gamin des écuries s’approcha de moi, m’expliquant quelque chose que je ne saisissais pas. Je le regardai avec de grands yeux étonnés lorsque je l’entendis émettre un sifflement curieux pour appeler le retcop. L’animal m’avait moins suivi que la veille, mais ne s’était jamais beaucoup éloigné. J’avais essayé une fois de m’approcher de la porte. A trois pas de l’ouverture, il avait émis un grondement en levant légèrement la tête et la douleur de la veille qui me tiraillait encore le bras en dépit du baume me suffit comme rappel. Le retcop me fit comprendre en me grondant dessus qu’il souhaitait me voir rentrer et je n’eus pas vraiment le choix. La vieille et le gamin barrèrent toutes les ouvertures et me laissèrent seule dans la pièce principale. Une unique torche s’y consumait et l’obscurité qui y régnait me fit frissonner.

Je n’appréciais pas cette atmosphère de pénombre dans cette pièce trop grande et trop vide. Vers la cuisine, se tenait une grande table en bois foncé, presque noire, avec quatre chaises à dossier, des tabourets et deux bancs. Près de l’âtre, le large fauteuil où j’avais voulu fumer la veille et des coussins. Sur des étagères, étaient entreposés des livres, quelques pots et fioles dont j’ignorai l’utilité à part la verte. Je pris alors une coupe et me servis généreusement. A priori, je devrais attendre que le maître rentre pour avoir le droit de manger et mes occupations étaient limitées. De toutes façons avec de l’alcool et quelques cigarettes, je pouvais encore passer une bonne soirée. Je m’installai dans les coussins moelleux, ma coupe à la main, ma cigarette sur les lèvres lorsque la vieille alertée, par l’odeur, sortit de son réduit en criant. Le Notisaprote fit alors son entrée. Il aboya quelques mots et le gamin ainsi que les deux filles se ruèrent à l’extérieur tandis que la vieille retournait dans sa cuisine.

Son regard se posa alors sur moi et il me hurla aussi dessus. Involontairement mon cou rentra dans mes épaules et lorsqu’il leva la main dans ma direction, je me tournai légèrement, me préparant à être frappée. Il se contenta de m'arracher ma cigarette des mains et de la jeter dans la cheminée. A priori, je n’avais vraiment pas le droit de fumer à l'intérieur de la demeure. Il appuya alors sa tête contre le dossier du fauteuil et m’ordonna je ne sais quoi. De toute évidence, il était en colère et mon attitude n’avait fait qu’augmenter sa rage. Peu encline à lui servir de défouloir, je me mis sur mes pieds, relevai la tête en passant devant lui et pris la direction des marches.

Il m’attrapa alors le bras. Je fis aussitôt une grimace, sentant ses doigts contre mes blessures de la veille. Il appuya un peu plus fort et me traîna avec lui devant son fauteuil. Il s’y assit de nouveau en me repoussant en arrière et me tendit sa jambe droite. Je n’avais pas besoin de comprendre ce qu’il me disait pour deviner qu’il voulait que je lui enlève ses bottes.

« Alors là mon grand tu peux rêver ! le défiai-je. Coupe-moi tout de suite les deux bras car jamais je ne m’abaisserais à ça. Tu peux en être sûr. »

Il dû comprendre au son de ma voix que je le défiai lorsqu’une silhouette, surgit de je ne sais où, s’interposa entre nous et s’agenouilla devant lui. Lorsqu’elle se releva, je vis une fillette d’une dizaine d’années, apparemment de ses parentes. Elle avait les mêmes yeux et la même couleur sombre de cheveux qui prenait de légères lueurs violette à la racine. Pourtant, je ne pus m’empêcher de frémir lorsqu’elle passa dans la lumière pour aller lui servir une coupe et que je vis son teint blafard. Le Notisaprote avait la peau de la même nuance que Ritèn mais cette petite paraissait blanche, tant le bleu de son teint était clair. Je n’avais jamais vu personne avec une peau aussi translucide. Elle revint vers nous, servit une coupe au Notisaprote et me ramena la mienne, me faisant signe de m’asseoir dans les coussins. Comme elle me souriait, j’acceptai sa proposition. Le Notisaprote me la désigna alors :

« Edonice.
- Jour, Line, me salua la fillette.
- Edonice ? Tu parles ma langue.
- Apprendre … »

La petite ne put finir sa phrase. Nufal s’était levé en éructant : la vieille et deux domestiques réapparurent. Comme la veille, elles nous servirent notre dîner puis se retirèrent. Je mangeai sans appétit et voulus sortir de table lorsque je croisai le regard du Notisaprote. Il était chargé de haine et cette fois-ci, il n’était pas dirigé à mon encontre mais visait cette enfant. Je la pris aussitôt en pitié et me demandai quel pouvait être son crime pour qu’il rejette ainsi sa fille. Dans ce monde de brute, il lui reprochait sûrement de ne pas être un garçon pour pouvoir assurer sa succession. Je pris alors le parti de me tenir tranquille et d’attendre qu’il se lève avant d’en faire autant. Nous montâmes tous les trois et en haut de l’escalier, la fillette partit dans l’autre direction. Il m’escorta jusqu’à ma porte et me l'ouvrit pour laisser passer son animal.
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MessageSujet: Re: " ISMERIA "   " ISMERIA " Icon_minitimeMar 16 Déc - 17:28

Je fus réveillée par une main posée sur mon épaule qui me fit hurler avant que je comprenne qui me touchait. La petite fille de la vieille me regardait avec surprise et prononça un timide :

« Excuse, Line.
- Ce n’est rien Edonice. Ici, je suis un peu trop sur le qui vive. Ton père me stresse un peu et j’ai toujours peur qu’il me tue au moindre geste, mais à part ça, tout va bien.
- Apprendre parler temple. Pas vite.
- Je ferai plus attention quand je voudrai me faire comprendre, ne t’inquiète pas. Pourquoi m’as-tu réveillée ?
- Réveillée ?
- Plus dormir ? lui demandai-je en montrant mon lit.
- Commencer journée et travailler.
- Et que veut le Notisaprote ?
- Lui partir guerre.
- Quelle bonne nouvelle ! Et le jour où tu m’annonceras qu’il est mort fera parti de mes meilleures journées. Que faisons-nous alors ?
- Toi apprendre parler temple.
- C’est tout ce que je dois faire. Je suis ici pour jouer les professeurs. Mais pourquoi dois-tu connaître ma langue ?
- Pas comprendre, moins vite. Pas bonne. Lente. Malade. Comprendre ? »

Avec les jours qui passèrent, je compris en effet beaucoup de chose. Edonice était une enfant intelligente mais avec une santé très fragile. Dès qu’elle bougeait vite, qu’elle s’énervait ou qu’elle ne prenait pas ses potions, elle devenait carrément livide et s’évanouissait. Je craignais sérieusement pour sa santé dans ce monde d’arriérés. Pourtant, malgré ses handicaps, elle était déjà une parfaite petite maîtresse de maison. La vieille, le gamin et les deux domestiques lui obéissaient au moindre signe et elle me fit apporter au bout de quelques jours, une substance qu’ils fumaient. Edonice était parvenue à m’expliquer qu’il s’agissait d’une sorte de produit prohibé chez eux et qu’il vaudrait mieux que Nufal ne sache pas que je l’avais. Je pris donc le parti de fumer leur herbe et de conserver mes cinq derniers paquets de cigarettes pour les occasions où je n’aurai pas le choix.

Grâce à ces progrès étonnants, nous commençâmes à nous comprendre. Je sus ainsi que nous étions au printemps et qu’elle devait parler un français très médiocre pour l’automne. Elle passerait alors une sorte d’examen pour entrer dans le temple comme prêtresse pour des offices religieux et il lui tenait à cœur de réussir. Or, en raison de sa maladie, elle avait accumulé du retard par rapport aux autres enfants de son âge. Grâce à ma présence tous les espoirs lui étaient permis car ses progrès étaient spectaculaires.

Plus les semaines passaient et moins je trouvais le moyen de m’enfuir. Le retcop ne me quittait pas et je n’avais pas le droit de quitter la maison. Je restais en permanence avec Edonice qui ne pouvait pas non plus sortir. La fillette m’avait expliquée que les femmes de bonne naissance ne pouvaient se déplacer librement en Xétu et devaient en référer au chef de famille. A ce que j’avais compris, nous dépendions toutes les deux du Notisaprote. Elle m’apprit aussi que si je n’avais pas reçu la marque de l’esclavage, c’était parce que Nufal comptait me libérer. Il me l’avait d’ailleurs annoncé en me conférant le titre de « Ilati » dans mon nom, femme libre. D’après Edonice, dès qu’elle serait reçue au temple, je retrouverai ma liberté.

Sans le Notisaprote à nos côtés, les journées me parurent moins difficiles à supporter et le printemps touchait à sa fin lorsque j’en étais arrivée à la conclusion qu’il me serait plus simple d’attendre l’automne avec cette petite fille que j’appréciais réellement. L’aider à obtenir son examen pour me permettre de partir était le moyen le plus sûr, d’autant plus que je n’étais pas certaine de la réussite de mon projet de retour. Si Edonice disait vrai, j’aurai un statut légal dans ce monde et il me permettrait de faire mes recherches tranquillement et d’aborder plus sereinement l’avenir, si je devais ne plus jamais repartir. C’était aussi une réalité que j’abordais plus paisiblement. Je commençais même à me trouver une fonction, grâce à la langue que je parlais. Dès que je serais libre, j’essaierai d’entrer en contact avec le temple pour savoir si mes connaissances étaient monnayables. Je ne comptais pas tant faire les bonniches pour nobles quelconques que trouver un moyen de rentrer. S’ils parlaient une langue terrienne pour leur culte, tous mes espoirs de retour se fondaient sur leurs connaissances religieuses. S’ils étaient aussi bornés que sur terre, mon retour ne serait pas chose aisée.

Ce soir là, j’avais aidé Edonice à se coucher, tant la température élevée la dérangeait et je fumais tranquillement dans la fraîcheur relative du jardin, faveur qu’elle m’avait autorisée en dépit des jérémiades de la vieille. Soudain le retcop, leva une oreille. Je l’entendis couiner vers la pièce principale et lorsqu’il jappa de plaisir , je sus avant de me retourner que le Notisaprote était revenu vivant de sa mission.

Dès qu’il me vit, il frémit de mécontentement. Il s’empara de mon bras avant que je n’aie le temps de bouger et il me fit monter de force l'escalier. Alors que je résistais, je remarquai qu’il évitait de se servir de son bras gauche et qu’une longue estafilade lui barrait le côté droit du visage. Elle n’était malheureusement pas assez profonde pour le défigurer. Il me traîna jusqu’à la porte d’Edonice qu’il réveilla en beuglant. La fillette bondit de son lit, et lui adressa une révérence digne d’un roi. Il reprit aussitôt ses récriminations et lorsqu’elle tenta de se justifier, il me lâcha pour la gifler si violemment qu’elle en tomba à la renverse. Pas ému par les pleurs de l’enfant, il la leva et la tira hors de sa chambre. Sans qu’on m’ait demandé quoi que ce soit je les suivis. Il désigna alors à l’enfant des endroits de la maison qui ne paraissaient pas à son goût et la frappa à nouveau après être entré dans la cuisine de la vieille. Edonice était étendue sur le sol et une des chaise à dossier lui était tombée dessus lorsqu’il tenta de l’empoigner. Je m’interposai alors entre eux.

« Si tu veux taper sur quelqu’un, défoule-toi sur moi, mais je te préviens, tu risques d’avoir un peu plus de mal.
- Non Line, me supplia, la fillette derrière moi. Juste.
- Juste ! hurlai-je en le défiant. Tu es malade et il te sort de ton lit en te frappant. C’est un taré et jamais je ne le laisserai te frapper devant moi. Aucun père n’a ce droit. »

Nufal et Edonice me regardaient, interloqués par mes paroles qu’ils n’avaient pas comprises. La fillette tenta de se relever et lorsqu’il se pencha vers elle, je n’attendis pas de connaître ses intentions pour m’interposer. Je lui saisis le bras et l’écartai de l’enfant lorsqu’il se dégagea en se servant de l’autre main. Je le vis grimacer de douleur mais il parvint à me repousser. Edonice était debout et prononça quelques mots de sa voix douce en baissant la tête en signe de soumission. Le Notisaprote lui fit un signe de la main en maugréant puis elle me prit le bras et nous remontâmes dans nos chambres. Avant de fermer ma porte, le retcop se faufila près de moi.
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